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"Tartuffe", du Molière bien pimpé à la Comédie de Genève

"Tartuffe" de Molière. [Comédie de Genève - Magali Dougados]
Théâtre: "Tartuffe" à la Comédie de Genève / Vertigo / 4 min. / le 21 février 2020
Jusqu’au 8 mars, la troupe romande des Fondateurs s’empare d’un classique du théâtre. Avec un jeu d’aller et retour entre le texte, de l’impro et la construction du décor. Réjouissant.

Et hop! Elle apparaît, traverse la scène à grands pas, suivie par sa famille à bout de souffle. Ce qu’elle peut pérorer la grand-mère Pernelle! Sa voix est agaçante à souhait, son look évoque Marie-Thérèse Porchet en faux Chanel. Elle dégoise bigoteries et reproches, la Madame Pernelle. Un moulin à paroles. Un aller, un retour et paf, elle se prend un pied de chaise en pleine poire.

La voici qui perd et la tête, et le fil, et même la voix. Adieu Madame Pernelle, nous voici face au longiligne et désopilant comédien François Herpeux, entouré par ses camarades comédiens qui tentent tant bien que mal de le remettre en selle. Que se passe-t-il? Nous sommes au tout début de la pièce "Tartuffe" de Molière et le mobilier du spectacle se trouve encore suspendu aux cintres, scié en pièces détachées. Madame Pernelle alias François Herpeux recherche son personnage et dans la salle, le public se fend la malle…

Un esprit proche des Monty Python

Des comédiens qui improvisent dans un décor qui se construit au fur et à mesure de la pièce, c’est la marque de fabrique des Fondateurs, une troupe romande qui a décidé d’investir les grands classiques du théâtre avec un esprit proche des Monty Python.

Comment allier ce goût de l’impro, cette liberté de jeu drolatique, ce sens du "nonsense" avec l’interprétation d’un texte aussi classique et connu que Molière? En mélangeant allégrement les styles de jeu et les approches. Un peu comme si vous assistiez non pas au "Tartuffe" dans sa version, disons intégrale et très Comédie française à perruque. Mais à un "Tartuffe" en version "profil d’une œuvre" avec des commentaires et des apartés pensés par une bande de joyeux zinzins.

Rappelons ici l’histoire de ce "Tartuffe": Molière nous emmène chez des bourgeois, la fortune est neuve, l’esprit pas encore affuté. Maître des céans, Orgon est un père de famille crédule et buté. Influencé par sa bigote de mère – La Pernelle, donc – il gobe toutes les fadaises débitées par un drôle d’invité qui prend de plus en plus de place et lorgne de moins en moins discrètement la femme d’Orgon. Le nom de ce cuistre: Tartuffe, faux dévot et vrai saligaud. Ce crétin d’Orgon n’écoute plus les siens et en vient à offrir à Tartuffe la main de sa fille, plus sa fortune, avant de comprendre – bien tardivement - son égarement.

Un surplus de vivacité

Dans ce "Tartuffe" pimpé par les Fondateurs, nous sommes à la fois chez Molière – le texte du "Tartuffe" est déclamé avec presque toutes ses rimes, parfois en mode slam ou ado selon les personnages. Et nous sommes aussi chez les Fondateurs, des comédiens qui prennent un malin plaisir à quitter leur personnage de bourgeois du 17e siècle pour jouer au comédien d’aujourd’hui ou au bricoleur en pleine construction d’un décor de palais malicieusement bancal.

Toutes et tous sont excellents dans leur double, voire triple ou quadruple, rôle. On les cite: Claire Deutsch, Mélanie Foulon, David Gobet (Orgon), Aline Papin (Tartuffe, c’est elle), Aurélie Pitrat et François Herpeux. Ce système de va-et-vient entre les registres n’est pas du tout gratuit ou abêtissant. Au contraire, il offre à Molière un surplus de vivacité, une liberté retrouvée et un ton qui nous le rend totalement proche. Dans la salle, les collégiens venus en service commandé de leur prof de français ressortent avec un sourire jusqu’aux oreilles.

A la Comédie de Genève, l’excellente et très homogène troupe mise en scène par le duo fondateur des Fondateurs, Zoé Cadotsch et Julien Basler, joue en prime un second Molière créé l’an passé. "Tartuffe" ou "Dom Juan", vous avez ainsi le choix. N’hésitez pas, prenez la paire.

Thierry Sartoretti/aq

"Tartuffe" et "Dom Juan" de Molière, revisité par les Fondateurs. A la Comédie de Genève jusqu’au 8 mars 2020

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