En France des metteurs en scène montent au créneau pour exiger une pause. En Suisse aussi, dans les théâtres, on s'interroge sur cette frénésie de communication virtuelle.
"Arrêtez-tout!" écrit le metteur en scène français Julien Fišera sur Facebook. "Je croyais que ce qui faisait la spécificité de notre art résidait dans la convocation d'un être vivant face à un autre être vivant et que c'était ça le théâtre. Sa magie, sa raison d'être. Et cela depuis des temps immémoriaux. Merde qu'on ne nous dépouille pas de ça!".
Son collègue Thibaud Croisy ajoute sur le blog du Monde diplomatique: "Ce qui vaut la peine d'être relevé, c'est surtout l'incapacité du théâtre à faire le vide. Marquer une pause. Un temps. Rien qu'un entracte, au fond. Dire simplement: 'Soit. Disparaissons un instant si vous le voulez bien, et revenons un peu plus tard quand tout sera fini'".
Pour certains artistes s'exprimer est une nécessité
Le théâtre, un art vivant, c'est aussi l'avis de Jean Liermier du Théâtre de Carouge. Mais il admet que des artistes travaillent d'une autre manière pendant cette période de crise: "Le théâtre est magique parce que c'est la communion entre les spectateurs de chair et d'os face à des artistes de chair et d'os qui partagent le même temps de la représentation. Rien ne pourra se substituer à cela. Néanmoins nous traversons une période inédite durant laquelle nous ne pouvons pas pratiquer notre art. Aussi, je me garderais bien de juger ou de critiquer les initiatives qui proviennent d'artistes pour qui cela relève de la nécessité de continuer de s'exprimer auprès de spectateurs".
En Suisse romande aussi, il y a des réfractaires au streaming. Le plus absolu dirige le théâtre Poche, à Genève. Mathieu Bertholet n'a jamais filmé un spectacle de son théâtre. Il pense qu'il est illusoire d'entrer en concurrence sur internet: "Il est peut-être plus juste de faire cette expérience du manque, de laisser les gens récupérer toutes les séries Netflix qu'ils n'ont pas eu le temps de voir, de lire tous les livres qu'ils ont à lire et de regarder tous les films qu'ils doivent voir pour que, au bout d'un moment de ce confinement on se rende compte que ce qui nous manque le plus, c'est de se réunir".
Je pense qu'il est urgent de faire une pause. Profiter de cette pause pour penser et repenser la manière dont on fait du théâtre. Je profiterais vraiment de cette opportunité pour rappeler que ce que l'on fait, c'est du théâtre et pas de la communication.
A Lausanne, à l'Arsenic non plus, pas de théâtre en vidéo, même si Patrick de Rham n'exclut pas de proposer plus tard des archives. "A l'Arsenic, nous avons choisi dans un premier temps une certaine humilité et accepté une pause dans le lien que l'on a avec les publics pour consacrer notre énergie à mieux préparer la réouverture. Internet propose une offre culturelle déjà très étoffée et cette crise exacerbe beaucoup de questions déjà existantes sur les relations entre les arts de la scène et les grands réseaux de distribution numérique. Cette réflexion nous profitera sans aucun doute par la suite".
Garder le lien avec le public
L'absence de captation en ligne peut aussi être due à des questions de droits. Pour Thierry Loup, directeur de Equilibre et Nuithonie à Fribourg, elle s'explique davantage par un manque de qualités artistiques: "Certaines maisons de production sont plus à même de diffuser leurs propres créations en streaming de manière à respecter au mieux les qualités d'un spectacle. En revanche, il est souvent plus délicat pour certains spectacles de diffuser leurs captations qui, très souvent, sont avant tout destinées aux programmateurs".
Reste que les rebelles de la culture en ligne sont rares: la plupart des théâtres tentent de garder le lien avec leur public via leur site ou les réseaux sociaux. Depuis hier, le Théâtre de Carouge propose quatre pièces de Molière sur son site. Quant au Théâtre du Passage, à Neuchâtel, c'est sur Facebook qu'il invite son public à visionner "Alpenstock", une pièce dont il a fallu annuler la programmation.
>> A voir, le spectacle "Alpenstock":
Sujet radio: Sylvie Lambelet
Adaptation web: Lara Donnet