"Sans grâce/Avec grâce" est un diptyque d'une beauté et d'une intelligence rare – dont on peut voir les deux spectacles dans une même soirée ou séparément – construit sur la présence et l'absence de l'actrice Grace Seri. Entre distance et proximité du public, le duo d'actrices explore en deux temps une partition élaborée à partir d'enregistrements bruts, extraits de leur toute première résidence de recherche.
Brouillant les rôles, les identités, tentant d'échapper aux pièges de la représentation, Kayije Kagame propose deux formes à l'écriture tirée du réel et ponctuée du langage unique de l'actrice Grace Seri, afin d'en rendre la dimension poétique et documentaire sur scène.
Une rencontre artistique
Kayije Kagame est genevoise. Elle s'est formée à Lyon, a vécu à New York puis à Paris. Elle a été repérée puis dirigée par le metteur en scène américain Bob Wilson. Son spectacle "Sans grâce/Avec grâce" est né de sa rencontre avec Grace Seri, lors d'une audition pour "Les Bonnes" de Jean Genet. Les deux comédiennes ont obtenu des rôles, mais la pièce n'a finalement pas eu lieu. Déterminée à donner tout de même suite à cette rencontre artistique, Kayije Kagame invite Grace Seri à participer à un projet dans le cadre du festival Les Urbaines à Lausanne, en 2019. Grace Seri ne pourra pas se libérer, le projet se fera donc "sans Grace".
"Avec Grace", on a quand même pris le temps de se rencontrer, de se parler, de parler de notre métier, de notre rôle dans notre métier. Ça a donné le matériau brut du spectacle", explique Kayije Kagame. Leur travail a beaucoup consisté en des exercices de logorrhée (un flux de parole) pour "laisser l'inconscient parler".
Le hasard de la vie
Sa rencontre avec le théâtre, Kayije Kagame la doit au hasard: "A 19 ans, je me suis retrouvée en Italie, je suis tombée sur un metteur en scène qui m'a proposé de jouer dans un de ces spectacles. J'ai été fascinée par cet univers. J'ai décidé ensuite de tenter ma chance. Depuis, je n'ai pas arrêté".
Le travail de Kayije Kagame, quand je l'ai vu, j'ai tout de suite su que j'avais envie de le programmer. C'est quelque chose de, en même temps complexe, en même temps simple, de très direct et en même temps qui implique des niveaux de rôles très différents.
Patrick De Rham, directeur de l'Arsenic dit de la comédienne qu'elle est exceptionnelle: "Et il y a tout le travail de mise en scène et de réflexion autour de ce qu'est le théâtre, des possibilités, des impossibilités liées au fait qu'elle est une femme noire. Elle se sert très intelligemment du théâtre pour faire cela, parce que c'est vraiment le médium du rôle, de la représentation, du semblant, du jeu.
Pour moi, être une femme noire est une double force. Il y a tout à créer. Il existe énormément de femmes noires artistes. Je pense que c'est aux Institutions de porter leur regard sur leur travail. Elles existent.
Ecrire pour Kayije Kagame est encore plus politique que de jouer. "Je n'ai pas souhaité attendre qu'un metteur en scène ou une metteure en scène m'engage pour faire mon métier. C'est aussi pour ça que je propose ces projets-là."
La comédienne aime s'entourer d'artistes d'horizons divers pour proposer au public une réflexion autour de la représentation. "La représentation, le rôle, toutes ces questions politiques sont d'autant plus fortes quand elles sont expérimentées directement avec le public qui, en Europe aujourd'hui, est majoritairement blanc", explique Kayije Kagame.
Propos recueillis par Julie Evard
Adaptation web: Lara Donnet
"Sans grâce/Avec grâce" à voir du 22 au 27 septembre 2020 au théâtre de l'Arsenic à Lausanne.