Quelques planches de sapin brut, deux tréteaux en métal, un vieil attaché-case et une rame de feuilles A4 chiffonnées. Ajoutez une plume en verve et beaucoup d’imagination et vous obtenez un spectacle d'une bonne heure né d'un événement qui n'a duré qu'une petite poignée de secondes.
Le 27 mai 2019, le Biennois Antoine Zivelonghi chute de 35 mètres lors d'un cours de parapente. Parapente en torche, chute en vrille et atterrissage brutal sur un champ, les vertèbres en bataille et les pensées qui carburent pendant et après. Antoine Zivelonghi n'a pas perdu connaissance. Il se souvient de tout. Comédien, circassien, le voici condamné pour un temps à l'immobilité. Et c'est ainsi que nait son nouveau spectacle "L'art de la chute". L'essentiel, diraient certaines, c'est de savoir rebondir. Même au terme d'une chute vertigineuse correspondant à un immeuble de dix étages. Aujourd'hui, l'homme dit "grincer" un peu, la motricité est revenue, l'humour aussi.
Drôle de mot: la chute. Dans une chronique, une blague, ça désigne le final. Il y a intérêt à ce qu'elle soit percutante pour un effet maximal. En parachutisme, on parle de chute libre, donc de chute volontaire. Dans les dessins animés américains, le coyote a le temps sauter la falaise, marcher dans le vide, s'arrêter, nous raconter quelque chose… avant de tomber comme une pierre. La chute d'un dictateur, ça s'appelle une révolution, donc un cycle, une boucle. Et dans une salle de théâtre, on se dit chut! Et puis tout devient noir…
Embarquer le public dans le vertige
Antoine Zivelonghi et sa compagne et complice Nina Pigné sortent de l'Ecole Dimitri, ce lieu au carrefour du clown, de la pantomime et du théâtre. On y apprend à parler de la vie avec le corps, la parole et les objets les plus divers. Leur compagnie s'appelle L'atelier de l'inventeur et c'est tout un symbole. Tout événement est potentiellement un combustible à spectacle. Avant d'aborder "L'art de la chute", il y a eu "Glory Hole" où il était question de nos déjections corporelles. Le duo semble apprécier les mises en abîme: il prépare déjà un "Impact" sur le thème de la manipulation des foules.
Revenons à notre chute. Elle a un début, un milieu, une fin. C'est précisément le milieu qu'explore Antoine Zivelonghi. Il s'en passe des vertes et des pas mûres, dans ce laps de temps. La vue se brouille avec la conscience qui menace d'en référer à l'âme. Le temps presse, il s'agit de trouver un compromis et de tomber… d'accord. En embarquant le public dans ce vertige.
Thierry Sartoretti/ld
Bienne, Nebia-Poche, du mercredi 14 au dimanche 18 octobre.