On sonne à la porte. Ding dong, voici Arnaud, Loïc et Chloë. Ils sont tout sourire, sac sur le dos et avec les crocs. Ce trio à faim. D’un bon repas, pour sûr. Du plaisir du jeu théâtral tout autant.
L’affaire est un collectif. Elle est fort CLAR. Comme les prénoms de Chloë Lombard, Loïc Le Manac’h, Arnaud Huguenin et Romain Daroles, quatrième larron, pas présent sur scène et commis à l’écriture en coulisses. Ces fines fourchettes sont issues de la Manufacture, la Haute école des arts de la scène.
Un premier spectacle réussi
Leur premier spectacle commun s’appelle "On s’en ira". Un spectacle chahuté par le coronavirus. Débuté au Théâtre 2.21 à Lausanne, reporté à des jours meilleurs du côté de Sion privé du "sel de la vie", dixit son conseiller d’Etat en chef, et maintenu, on l’espère, à Nyon les 29 et 30 octobre. Brûlons des bougies à réchaud à Sainte Rita, patronne des causes désespérées! Ce spectacle mérite sa tournée. Il a tout pour vous rassasier.
"On s’en ira", c’est du théâtre bouffe, en somme. Avec un fort appétit pour l’humour et le plaisir du casse-croûte. On y dévore aussi la matière théâtrale, le jeu de plateau et cette capacité merveilleuse qu’à le théâtre de vous mener par le bout du bec grâce à la verve et au verbe.
Des situations qui basculent sans crier gare
Au menu trois voyageurs qui se rendent mutuellement visite, jouent des situations que nous connaissons par cœur: l’annonce du menu, les compliments plus ou moins sincères sur le dessert, la remarque admirative sur les bibelots du salon ou le choix des coloris, l’échange des souvenirs de voyages… Bref, du banal, du cliché, de l’entendu mille fois ailleurs ou à domicile: "Comme c’est joliment aménagé chez vous". Ou "Ah, fameux ce petit beaujolais, on en redemande…". Sans oublier "vous avez raison, les embruns sur les côtes de Bretagne en hiver, y a que ça de vrai…".
Les fines mouches du CLAR ont collecté banalités surgelées et phrases préemballées comme des lépidoptéristes traqueraient le papillon sur les pentes du Mont Canigou. Sauf que tout déraille tout le temps dans "On s’en ira". Les conversations sont parasitées par des phrases hors de propos, des regards subitement figés. Les situations basculent sans crier gare, le scabreux n’est jamais loin. Comme lors de ce repas avalé devant la télévision où Maïté, telle une Cruella des fourneaux, s’apprête à gober un ortolan tout chaud et suintant de gras.
Jouer avec les codes
Les trois - plus un - comédiens du CLAR jouent avec les codes du théâtre, de la téléréalité, du documentaire touristique, du débat intello et même du cinéma d’action. On passe de Pierre Bellemare à Gilles Deleuze avec un détour chez "Thelma & Louise". Bonjour les zigzags! Pour créer toutes ces situations, suffisent une simple table pliante à pique-nique, un sac à dos rempli de vaisselle en toc, quelques provisions et un vieux poste de télévision.
"On s’en ira", qu’ils disent. Avec le Val de la Dixence pour Grand Canyon et les Alpes pour horizon. On s’embarque. Avec masque, avec distance, le plaisir théâtral restera le même.
Thierry Sartoretti/aq
"On s'en ira", salle de la Colombière, Nyon, les 29 et 30 octobre. Les représentations sont maintenues et se déroulent dans le respect des normes sanitaires édictées ce mercredi 28 octobre par le Conseil Fédéral.