Les rideaux sont tirés dans les théâtres tout le mois de novembre. Décembre s'annonce frileux. Pour celles et ceux qui aiment la franche rigolade, la satire politique et cet art malicieux de l'auto-ironie, des fêtes de fin d'années sans revue c'est un peu comme un Noël sans plat de résistance. L'esprit de l'époque est maussade et l'humour pourrait améliorer les choses. Hélas, lui aussi n'est pas d'humeur.
2020 est pourtant l'année idéale pour des revues à sketches. Pensez-donc: rien qu'en novembre, Darius, Trump, Maudet et les nouvelles mesures sanitaires vous remplissent un spectacle sans problème. Sauf que les revues ont renoncé les unes après les autres.
Petit tour d'horizon de la Suisse romande
Le Valais passe une année; Frédéric Recrosio se ressource avec un cabaret intime du côté de Vevey, annulé lui aussi pour cause de fermeture des théâtres. Genève? La revue la plus dotée financièrement (plus de deux millions de francs de budget) a renoncé au printemps déjà et se débat dans des problématiques comptables. Fribourg a tiré le rideau de son "Fribug". Le Jura a vu sa revue delémontaine fauchée par les cas de coronavirus. Neuchâtel se tâte encore, mais le silence du site de decharge.ch n'augure rien de bon. Sur la Riviera, la Revue vaudoise vient de tirer la prise.
La revue créée à Montreux par Cuche & Barbezat nous donne rendez-vous en… 2021. Après avoir bataillé tant et plus pour obtenir l'ouverture d'une buvette en ces temps de distance sociale de rigueur. La limite de 50 spectateurs, puis l'ordre de fermeture ont eu le dernier mot.
La revue, un spectacle particulier
Une revue, c'est un spectacle très particulier. Elle se nourrit et vit de l'instant présent: la troupe adapte ses gags chaque soir en fonction des développements de l'actualité. Paradoxalement, une revue ne supporte pas ce temps de turbulences excessives. La raison: à part Genève, généreusement subventionnée, les revues fonctionnent essentiellement à la billetterie et à la limonade (ou plutôt à la coupe de champagne bue entre collègues en goguette). Baissez la jauge du public, fermez le bar et c'est la catastrophe.
Pour faire monter la mayonnaise du rire, il faut par ailleurs une salle pleine, pas des gradins dégarnis et masqués d'anonymes. Une revue, c'est un spectacle assez costaud à monter avec une longue période d'écriture, des décors parfois conséquents, des costumes en abondance, des chansons, des chorégraphies et une troupe nombreuse (200 personnes dans le cas de la Revue genevoise).
Jean-Luc Barbezat aura pu faire jouer huit représentations générales (histoire de tester et rôder le spectacle avant lancement) avant de devoir abandonner la mort dans l'âme sa Revue vaudoise. Le Casino Barrière de Montreux étant fermé, il n'était même plus question de créer de nouveaux sketches pour incorporer les derniers faits d'actualité. Le rideau prématurément tiré, la Revue vaudoise subirait une perte de quelque 450'000 francs selon les estimations de l'humoriste Jean-Luc Barbezat.
Un espoir subsiste pourtant
Toute la Suisse est occupée par le coronavirus… Toute? Non! Un village peuplé d'irréductibles humoristes résiste encore et toujours à l'envahisseur… C'est "Confinage", emmené par le Vaudois Blaise Bersinger.
"Confinage", c'est une revue roseau. Elle plie, elle ne rompt pas. Lancée en automne déjà, elle s'est interrompue suite à la limitation fédérale de 50 spectateurs par salle. Itinérante, avec une base de repli lausannoise, on l'espère – soyons optimistes! - en décembre dans la salle des Terreaux. Et s'il faut attendre janvier 2021, et bien "Confinage" attendra, capable de tourner jusqu'en avril prochain.
Une revue qui passe tout l'hiver, comment est-ce possible? "Confinage" n'est pas une revue à sketches sur l'actualité locale ou nationale comme ses consoeurs. Elle aborde un seul et unique sujet, partagé internationalement qui plus est: le confinement. On l'a vécu, on le revit, on s'en souviendra et dès lors nous pourrons potentiellement encore en rire au printemps prochain. "Confinage" possède donc de beaux atouts pour résister au Covid. Mais sa marge de manœuvre est étroite: avec un budget d'un million et demi de francs soutenu à 90% par la billetterie, pas question de jouer devant 50 spectateurs. Pour être viable, la salle des Terreaux doit être remplie à une grosse moitié de sa capacité, soit 210 spectateurs avec des distances de sécurité entre les sièges occupés. Pas sûr que le futur déconfinement l'autorise immédiatement.
"L'avantage d'une revue itinérante comme la nôtre, souligne Blaise Bersinger, c'est que le décor est prévu pour être déplacé, ce qui nous autorise des solutions B, C, D, etc… Chaque date prévue a sa date de remplacement en cas d'annulation." Gageons que le cometteur en scène et producteur Sébastien Corthésy, avec sa société de production Joker's Comedy, ne doit pas passer des nuits tranquilles. Par les temps qui courent, l'humour a décidément un prix. Inestimable.
Thierry Sartoretti/ld