Une phrase résume tout. Elle est de Milo, une des jeunes danseuses issues de la dernière promotion de la Haute école romande des arts de la scène: "Nous avons de la chance d’avoir été programmé au Festival Antigel… même si ça n’a pas lieu". Il faut un mental bien musclé pour aborder une vie professionnelle d’artiste en cette période.
Trois années de formation à la Manufacture, ce sont des stages, des cours, des créations en interne et à la fin LE spectacle de sortie, une création qui se frotte enfin au grand public, aux professionnels, aux têtes chercheuses de talents, aux directions des compagnies et des salles de spectacle, bref, à la vraie vie quand on est jeune artiste en quête de reconnaissance et de travail.
Un spectacle avec neuf talents à découvrir
En juin 2020, la Manufacture annonçait "A Dance Climax", création de la chorégraphe française Mathilde Monnier. Un spectacle collectif sur le thème de la respiration, du souffle, de la course et de l’épuisement. Autant de pistes explorées alors que la société vit désormais masquée. L’occasion aussi de nous présenter ces neufs artistes à découvrir. On donne ici leur nom car ils et elles auront eu si peu de visibilité ces derniers mois: Zacharie Bordier, Colline Cabanis, Hortense de Boursetty, Queenie Fernandes, Milo Gravat, Délia Krayenbühl, Gabriel Obergfell, Ludovico Paladini et Fabio Zoppelli, plus Bastien Hippocrate, un diplômé de la précédente volée venu en renfort dans cette jeune et éphémère compagnie bousculée par la pandémie.
Création pour public réduit
"A Dance Climax" devait bénéficier d’une séance de rattrapage à Genève dans le cadre du Festival Antigel. Réduit au streaming, à l’annulation pure et simple ou au huis-clos, le festival a choisi de maintenir les représentations de "A Dance Climax". Elles ont lieu ces jours, devant un parterre très réduit et uniquement professionnel. Sans captation pour le public. Un pis-aller, histoire de donner, tout de même, un coup de pouce à cette nouvelle génération de danseuses et danseurs.
Comment travailler et qu’espérer dans ces conditions? Une a pu travailler l’an passé sur des tournages, trois ont participé entre deux fermetures des salles à un spectacle pour enfants signé Nicole Seiler, d’autres rongent leur frein, créent des collectifs pour tenter des recherches à défaut de pouvoir créer des spectacles. La poursuite d’études supplémentaire ou de stages est aussi envisagée, faute de perspectives plus concrètes. A l’ADC de Genève, les neuf ont appris à se débrouiller seuls lorsque leur chorégraphe est absente en France. Les mesures sanitaires ont rendu les déplacements aléatoires et plus rares.
L’espoir demeure tout de même, malgré une inquiétude: "Tous ces spectacles reportés vont être joués dès que les salles pourront rouvrir. Ils vont alors concurrencer les spectacles déjà lancés et programmés pour les prochains mois. On a l’impression qu’il n’y aura pas de place pour nous avant 2025", craint cette danseuse. Quatre ans d’attente et d’incertitudes, c’est très long. Surtout lorsque l’on a son propre corps pour outil de travail. Mais pour les neuf de la Promotion D, pas question de renoncer à leur art pour autant.
Thierry Sartoretti/mh