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Avec "La Clémence de Titus", Milo Rau signe son premier opéra

Page culturelle : Milo Rau, figure emblématique du théâtre contemporain.
Page culturelle : Milo Rau, figure emblématique du théâtre contemporain. / 12h45 / 8 min. / le 18 février 2021
Figure du théâtre très en vue à l'échelle européenne, le Bernois Milo Rau met pour la première fois en scène un opéra, au Grand Théâtre de Genève, alors que sort en parallèle son dernier long-métrage intitulé “Le Nouvel Evangile”.

Avec "La Clémence de Titus" de Mozart, Milo Rau (44 ans) est repassé par la case "novice". A son entrée dans la salle de répétition le premier jour, il ne sait que répondre quand on lui demande comment chanter tel ou tel passage. "Être débutant est effrayant, mais il y a aussi là-dedans quelque chose d'extrêmement libérateur", déclare-t-il à Keystone-ATS.

Pour l'heure, l'opéra présenté au Grand Théâtre de Genève sera diffusé en direct sur Internet, les restrictions liées au coronavirus rendant toujours impossible toute représentation en public. Espacement, port du masque, nombre de personnes sur scène, les répétitions ont elles aussi été très affectées par les mesures, explique Milo Rau quelques jours avant la première. "C'est pénible, et différent de ce que j'avais imaginé", poursuit-il.

Une nouvelle conception du temps

Lui qui fait régulièrement sensation par son traitement multimédia de conflits historiques ou sociopolitiques ("Hate Radio", "Five Easy Pieces" ou "Tribunal du Congo"), met cette fois-ci en scène un opéra traditionnel. Libretto, musique et histoire. "Beaucoup d’aspects sont déjà décidés avant le début des répétitions, il y en a peu qui peuvent changer", relève encore Milo Rau.

C'est même tout à fait à l'opposé de sa façon habituelle de travailler, soit une page blanche et une production qui se monte de pair avec les acteurs et des personnes concernées par l'histoire, par exemple dans une zone de guerre. La panique, le chaos, l'agitation. Pour un film, il réunit en général plusieurs personnes, isole le groupe et attend que quelque chose se passe dans la frénésie de la création. Tandis qu'avec l'opéra, il se sent "souvent plus architecte d'intérieur qu'inventeur".

>> A écouter, l'interview de Milo Rau dans "Vertigo" :

Le metteur en scène suisse Milo Rau, photographié ici au Festival de Locarno en 2017. [Keystone - Urs Flueeler]Keystone - Urs Flueeler
L'invité: Milo Rau convoque Mozart et sa "Clémence de Titus" / Vertigo / 17 min. / le 12 février 2021

Des amateurs sur scène

Le metteur en scène actuellement le plus acclamé d'Europe, cinéaste maintes fois récompensé, avait été approché pour plusieurs pièces, note-t-il. Cette fois, l'histoire l'a davantage intéressé que la musique. Et il a trouvé ce qu'il cherchait dans l'opéra le plus politique de Mozart et non, comme on pouvait s'y attendre, au travers d'une pièce moderne. Dans "La Clémence de Titus", on parle de trahison et de révolution, il y a des morts, un grand incendie ainsi qu'une éruption volcanique. Cet opéra a été créé le 6 septembre 1791 à Prague, à l'occasion du couronnement de Léopold II comme roi de Bohême.

J'ai trouvé cela intéressant, car c'est un opéra qui montre une élite tolérante, une élite proche du peuple.

Milo Rau interrogé dans l'émission "Vertigo"

Avec sa structure sérielle et son contenu complexe, l'opéra est considéré comme difficile à mettre en scène. On accorde aussi beaucoup moins d'attention à l'horreur qui vient du dehors qu'aux conflits intérieurs des personnages. Milo Rau régit une scène scindée en deux parties: d'un côté l'élite dans sa "Maison de l'Art" et de l'autre, des réfugiés au milieu d'un campement de caravanes, en pleine misère.

Comme d'habitude dans ses projets théâtraux, Milo Rau fait monter des amateurs sur les planches. Des immigrés et des Genevois de souche prennent donc part à l'action.

Réalité du temps présent

Le metteur en scène reste fidèle à lui-même. Le résultat est authentique et brut, radical et critique. Avec cette version de "La Clémence de Titus", il livre une critique de l'art engagé, de l'intellectuel engagé et du pouvoir de l'élite "pseudo-engagée". "Un véritable engagement, ce serait la révolution. Je crois que depuis 1791 et jusqu'à aujourd'hui, l'élite a compris que la vraie révolution, il faut l'éviter. Il faut faire semblant d'être du côté du changement, mais ne rien changer. C'est ce qui se passe dans cet opéra d'une manière presque absurde", explique le metteur en scène dans l'émission "Vertigo" de la RTS.

Milo Rau imbrique réalité et fiction, toujours au seuil de l'une ou de l'autre. Il a su également apporter à la pièce tous les éléments qui lui tiennent à coeur: la violence, la transposition du contenu dans le présent ou même dans le futur, la transformation de la misère en art, la politique.

Comment Mozart et Milo Rau vont-ils s'en sortir? Les amateurs d'opéra classique qui ont assisté à une répétition ont jugé la pièce "méconnaissable". Le metteur en scène s'en étonne. Toute réalité n'est pas absente de l'oeuvre de Milo Rau, bien au contraire. La réalité est au centre, celle du temps présent. Dans toute sa brutalité, son absurdité et sa beauté.

ats/ld

L'opéra "La Clémence de Titus" a été diffusé le 19 février à 20h00 en direct sur la plateforme GTG Digital et Mezzo Live HD. Il est disponible en streaming jusqu'au 28 février sur le site du Grand Théâtre de Genève.

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