C’est un rite. Paul Sheldon termine toujours son nouveau manuscrit dans le même lodge isolé au fond des bois. Une cigarette, un verre de champagne et c’est retour chez son éditrice new-yorkaise. L’auteur de la saga "Misery", c’est lui.
Ses romans à l’eau de rose ont séduit des milliers de fans dont Annie Wilkes. Cette infirmière vit dans une maison isolée à proximité du lodge. Lorsque la Ford Mustang de l’écrivain s’écrase en contrebas de la route en pleine tempête de blizzard, c’est Annie qui sauve et ramène chez elle son auteur préféré. Fan et infirmière! Il a de la chance Paul Sheldon, avec ses deux jambes brisées dans le froid glacial. Sauf que dans le nouveau et dernier tome de "Misery", l’auteur fait mourir le personnage préféré d’Annie. La soignante dévouée se transforme alors en monstre psychotique.
Un roman, un film puis une pièce de théâtre
Classique du thriller, "Misery" porte la signature de Stephen King. Le roman est devenu film en 1990, tourné par Rob Reiner, avec James Caan dans le rôle de l’alité et Kathy Bates dans celui d’Annie, une performance qui lui vaut un oscar hollywoodien la même année. Immense Kathy Bates qui passe du registre de l’infinie tendresse à celui de la haine absolue, capable de briser les chevilles de son désormais prisonnier à coup de masse pour le forcer à reprendre sa saga et ressusciter sa belle et pieuse héroïne.
Devant le triomphe du film, l’acteur Bruce Willis commande une version théâtrale. Exit les scènes dans les bois ou à la librairie, "Misery" devient un pur huis clos entre chambre à coucher et cuisine emplie de secrets. La chanteuse Viktor Lazlo traduit la version française et "Misery" nous revient aujourd’hui par un effet de boomerang sur nos écrans… d’ordinateur. Les théâtres étant bouclés, la compagnie genevoise Confiture réinvente le "ciné scène", soit du streaming live et payant.
Difficile de faire oublier le cinéma
En se confrontant à l’épreuve de l’écran à domicile, le théâtre fait-il oublier le cinéma? Il rappelle surtout le gouffre qui sépare ces deux genres. Côté ciné, vous avez tous les moyens techniques à disposition pour entretenir le suspense: découpage haletant des scènes, musique angoissante, plans serrés sur les regards ou sur le cahier secret d’Annie, éclairages aux petits oignons. Dans le "Misery" de Rob Reiner, c’est du grand art à la Hitchcock. Ce film est d’ailleurs l’un des préférés de Stephen King, lequel, il faut le rappeler, avait boudé le "Shining" de Stanley Kubrick également tiré de sa bibliographie.
Côté théâtre, il faut imaginer un décor avec un panneau coulissant pour créer deux espaces sur le plateau (la chambre et la cuisine). Il faut aussi parler assez fort et distinctement pour être entendu depuis le fond de la salle. Dans la version de Confiture, le public est derrière son écran, mais quelques vraies têtes apparaissent tout de même dans les premiers rangs, afin de soutenir le duo Rebecca Bonvin et Gaspard Boesch qui incarnent ce confinement toxique. Et du coup, le son des voix comme celui de la musique a quelque chose de distant tout en étant trop déclamé.
Moins de terreur au théâtre
Pas facile de marier les exigences du théâtre en live et celle d’un film. Au casque, le son est correct. Dans un haut-parleur d’un ordinateur ou d’un smartphone, il faut tendre l’oreille pour comprendre les dialogues. Le duo est suivi en deux plans de caméra: large et visible comme depuis le milieu de la salle de théâtre. Ou rapproché, mais pas trop. Pour que la captation fonctionne à plein régime, il aurait fallu les moyens d’un tournage de cinéma.
Verdict? Bravo à la Compagnie Confiture de tenter l’expérience et chercher son public quant bien même son théâtre est bouclé. Tant pis, si ce thriller, haletant sur écran, se transforme dans sa version théâtrale filmée en un jeu de chat et de souris que l’on suit plus amusé que terrifié. Et surtout, vivement que les salles rouvrent. Au théâtre comme au cinéma.
Thierry Sartoretti/olhor
"Misery", Théâtre Confiture, ve 26 février à 14h30 et 20h, sa 27 février à 19h, di 28 février à 17h.