43. C'est le nombre maximal de sièges occupés pour respecter les consignes en matière de distance sanitaire. 43 spectatrices et spectateurs masqués et heureux de se retrouver dans un vrai théâtre devant un vrai spectacle avec des comédiennes et comédiens de chair et de sang, qui heureusement n'étaient pas masqués sur le plateau.
Lundi 19 avril, ce jour de première était donc aussi un jour de retrouvailles. Quand bien même "Qui a peur de Virginia Woolf?" ce n'est pas tout à fait du théâtre divertissant ou feelgood, mais plutôt un massacre à la tronçonneuse chez les bourgeois.
Un carnage psychologique
Peut-être avez-vous déjà vu "Qui a peur de Virginia Woolf?" dans sa version cinéma? Avec le couple ravageur (et ravagé) Elizabeth Taylor et Richard Burton. Signée Edward Albee, cette pièce américaine des années 1960 raconte une nuit immensément alcoolisée. Deux couples se rencontrent. Le premier, plus âgé, aigri, borderline formé d'un prof d'Histoire et de son épouse, fille du Président de cette Université où Monsieur enseigne. Le second, plus jeune, fragile, hypocrite, lie un jeune enseignant, débarqué sur ce même campus et son épouse venue de province.
Orageuse, provocatrice, la discussion tourne rapidement au carnage psychologique et destructeur. Nous voici face à un cocktail mondain de l'élite intellectuelle. Et cette élite s'avère parfaitement barbare et exécrable.
"Qui a peur de Virginia Woolf?", on le redit date du siècle passé. Avec des genres et des rôles sociaux parfaitement assignés. Ces messieurs travaillent et sont censés faire carrière. Ces dames s'occupent du foyer et sont censées élever sans souci de merveilleux enfants. Un schéma qu'explose cette pièce telle une grenade à fragmentation.
Inquiétant et dangereux
Comment renouveler un pareil classique? Le faut-il d'ailleurs? Dans une récente version théâtrale genevoise signée Valentin Rossier, la partition d'Edward Albee avait été jouée à la virgule et au cocktail près. Pour cette rentrée théâtrale en mode déconfinement, Anne Bisang rend d'abord justice à cette formidable machine à jouer magnifiquement servie par l'Ensemble du Poche. Valeria Bertolotto explosive en bourgeoise frustrée. Jean-Louis Johannides délicieusement inquiétant et dangereux dans son rôle de raté. Le couple Angèle Colas et Guillaume Miramond excellents dans leurs chassés-croisés entre maladresse et prétention.
Jeu à fleur de peau
Au texte d'Edward Albee, Anne Bisang choisit d'ajouter une mise en abîme. Puisque ces couples se jouent une (terrible) comédie. Autant faire jouer également les comédiennes et comédiens dans leur propre rôle d'artistes. Les vannes sur l'âge, les traits sur le succès ou au contraire les échecs n'en seront que plus mordantes et cruelles. La pièce s'amorce sur ce double jeu, mais perd hélas ce fil en cours de jeu pour se concentrer sur la version originale de "Qui a peur de Virginia Woolf?". Dommage pour la tentative de s'émanciper de ce classique. Pas grave au vu du plaisir ressenti dans ce jeu à fleur de peau et dans cette joute à couteaux tirés.
Thierry Sartoretti/ld
Un conseil: vu la jauge très basse, les spectacles sont complets. Vous pouvez vous placer en liste d'attente ou… patienter jusqu'à l'an prochain où l'intégralité du répertoire du Poche – laminé cette année par la vague coronavirus – sera joué et rejoué.