Publié

Raimund Hoghe, hommage à un chorégraphe fou de musique

Le chorégraphe et danseur allemand Raimund Hoghe en répétition avec son ballet "Si je meurs laissez le balcon ouvert" à Montpellier le 29 juin 2010. [AFP - PASCAL GUYOT]
Raimund Hoghe, hommage à un chorégraphe fou de musique / Le Journal horaire / 14 sec. / le 15 mai 2021
L’ancien dramaturge de Pina Bausch, devenu lui-même chorégraphe émérite, est décédé le 14 mai à l’âge de 72 ans. Raimund Hoghe laisse une trentaine de créations et un art de la danse unique et cérémonial.

"Si j’étais né quelques années plus tôt, on ne m’aurait pas autorisé à vivre". Il le disait en allemand d’une voix très douce avec un fond de douleur. De très petite taille, le corps tordu par une déformation de la colonne vertébrale, Raimund Hoghe avait conscience d’être une sorte de survivant.

Il était né à Wuppertal dans la Ruhr un 12 mai 1949, là-même où sa compatriote Pina Bausch élabora en sa compagnie son Tanztheater dont il fut le dramaturge durant les années 80. Oui, quelques années plus tôt, les nazis auraient éliminé Raimund Hoghe dès la naissance le déclarant inapte à l’existence, avorton indigne. Comme ils ont tenté d’éliminer le ténor Joseph Schmidt, trop petit, trop juif, célébré avant-guerre sur les scènes internationales comme un mini Caruso, puis mort misérable et épuisé dans un camp de réfugiés suisse en 1942. Raimund Hoghe lui a consacré un spectacle, "Meinwärts", l’un de ses premiers, en 1994. Comme on rend les honneurs à un frère aîné disparu trop tôt. Comme on prend calmement, toujours avec douceur, sa revanche sur l’Histoire.

Grandir avec de l’amour

Raimund Hoghe aimait les hommages. Ses spectacles comme chorégraphe, ses propres soli, ont toujours tenu de la cérémonie, du culte et de l’évocation la plus respectueuse. Il y a notamment eu la Callas en 2007 avec "36, Avenue Georges Mandel", la dernière adresse parisienne de la diva. Il y a eu "An Evening with Judy", amoureuse dédicace à l’interprète du classique "Over the Rainbow", présentée au Festival Antigel de Genève en 2015. Point commun de ces deux figures féminines: un destin fracassé et des voix exceptionnelles. "J’ai eu la chance d’être entouré et encouragé par l’amour de ma maman, expliquait Raimund Hoghe en 2015 au micro de la RTS. Pour beaucoup de gens, qui n’ont pas eu la chance de grandir avec de l’amour, les grandes voix, les chansons de variété comme les airs d’opéra, représentent une forme collective d’amour." Et Raimund Hoghe de citer les Schlager de son enfance, les comédies musicales, Dalida, Brel ou Barbara.

>> De passage à Antigel en 2015, Raimund Hogue incarne la chanteuse Judy Garland dans sa pièce "An evening with Judy ". Il s'en explique au micro de "Vertigo" :

Affiche de l'édition 2015 du Festival Antigel. [antigel.ch]antigel.ch
Danse: "An Evening with Judy" de Raimund Hoghe / Vertigo / 8 min. / le 29 janvier 2015

Lenteur hypnotique

Son dernier passage en Suisse romande, il y a trois ans, était encore un hommage. A une interprète bien vivante, danseuse d’exception au corps sculpté et marqué par des années de ballet classique. "Canzone per Ornella" magnifiait Ornella Balestra, cette ancienne danseuse étoile du Ballet du XXème siècle de Maurice Béjart. L’art de Raimund Hoghe était une mesure du temps qui passe et son temps, il savait le prendre, composant des spectacles d’une lenteur hypnotique, inverse absolu de la frénésie de notre époque. Cinéaste, il aurait été le Grec Theo Angelopoulos attendant patiemment que la pluie tombe pour tourner une scène d’un calme olympien.

Corps hors normes

L’an passé, Raimund Hoghe a reçu le "Deutscher Tanzpreis", la plus haute récompense allemande donnée à un danseur. Ne reste désormais de lui que des souvenirs de spectacles vus, des archives qui ne rendent jamais pleinement justice à l’atmosphère d’un spectacle live. On peut se rappeler de lui comme ce petit homme arpentant lentement la scène, torse nu ou vêtu d’habits féminins, à la fois sculpture en mouvement ou symbole d’un corps hors norme affirmant lui aussi, le droit d’exister. On peut aussi se souvenir de Raimund Hoghe comme d’un immense amoureux de la musique et des voix.

Thierry Sartoretti/mh

Publié