"Je t’ai toujours détesté je crois depuis l’instant où j’ai ouvert mes yeux nourrisson!" Pas de ponctuation. Juste une réplique comme un uppercut. Luke et Ned se retrouvent après des années de silence et de distance.
Comme un match de boxe
Nous sommes dans la cuisine de leur enfance. Luke a vingt ans de plus que son frère. Il a roulé sa bosse et n’a jamais donné signe de vie. Luke le cadet est resté à la maison. Il ne l’a même pas quittée après la mort de maman. Entre Luke et Ned règne une colère froide, une envie de régler ses comptes à coups de poing.
"Moitié Moitié", signé de l’auteur australien Daniel Keene, débute façon match de boxe. Avec des dialogues comme des crochets du gauche. Ça boit, la pendule de cuisine fait tic-tac et chaque jour qui défile est comme un nouveau round.
Entre fantastique et poésie
Une pièce sans espoir? N’oublions pas maman. Elle n’habite pas loin. Dans une concession du cimetière. Luke ramène d’abord les mauvaises herbes qui envahissent la tombe, puis une motte de terre, puis une autre, puis tout le reste.
"Moitié moitié" pourrait n’être que macabre, c’est alors que cette pièce assez givrée s’ouvre dans le fantastique et la poésie. En déterrant maman, les frangins ramènent Mère Nature à domicile. Ça pousse, ça foisonne, ça envahit tout et éclate ce sinistre huis clos. Ce n’est plus une cuisine, c’est un jardin d’Eden. Où nos deux Abel et Caïn contemporains peuvent enfin recommencer à zéro.
Spendide duo d'acteurs
Créé par Mariama Sylla dont on avait adoré une précédente pièce "Hercule à la plage", "Moitié Moitié" emporte le morceau avec un splendide duo d’acteurs (Simon Labarrière et Julien Tsongas), l’un finement pitoyable, l’autre parfaitement inquiétant.
A la prouesse du jeu s’ajoute une scénographie aussi habile que saisissante. Ce jardin d’Eden, on le voit, on le sent. Nous ne sommes plus au théâtre. Il existe, comme l’a rêvé la metteuse en scène: "à la fois vraisemblable et irréel".
Thierry Sartoretti/aq
"Moitié-moitié", Théâtre de l’Orangerie, Genève, jusqu’au 29 août.