Le chorégraphe condamné à cinq mois de prison avec sursis pour attouchement sexuel vient de faire appel auprès du tribunal lausannois qui a jugé cette affaire dont les faits remontent à 2018 lors d'un stage donné aux jeunes danseuses et danseurs d'une autre compagnie.
Sa propre compagnie, Alias, est la compagnie de danse contemporaine suisse la plus connue à l'étranger. Plus de 500 représentations de l'Europe à l'Asie en passant par les Amériques et l'Afrique. Alias, ce sont 25 spectacles dont les désormais classiques "Le poids des éponges" ou encore "Sideways Rain". La dernière création, "In C", est une collaboration avec le groupe rock The Young Gods. Fondée en 1994 à Genève, Alias était jusqu'à présent liée au Théâtre Forum-Meyrin qui abritait chaque année ses créations.
Une collaboration suspendue
Alias est soutenue par les communes de Meyrin et Genève, par le canton de Genève et l'était par Pro Helvetia. Dans un communiqué, Meyrin annonce suspendre toute collaboration avec le chorégraphe en attendant le jugement en appel. La commune indique avoir versé la dernière tranche de subvention 2021 "afin de couvrir les salaires des collaboratrices et collaborateurs de la compagnie", soit quatre postes à plein temps. Meyrin parle d'une "tolérance zéro au sujet des questions d'agression et de harcèlement sexuel". Le Théâtre Forum-Meyrin suspend également ses liens avec le chorégraphe et a décidé de ne pas proposer de spectacle d'Alias cette saison.
En jeu désormais, des subventions dont le montant global se monte à près de 300'000 francs par année au gré des conventions et des projets de tournée. Les perdre signifierait la fin de cette compagnie qui n'a pas de troupe à demeure. Les quelques dix danseuses et danseurs régulièrement engagés pour des spectacles le sont au coup par coup avec des contrats à durée déterminée.
Les perspectives pour 2022 sont pessimistes. Contactée, la compagnie n'a guère de projets pour l'an prochain. Son administrateur, arrivé en 2020, soit après les faits jugés, attend le prochain jugement du tribunal lausannois pour envisager la suite. Lorenzo Malaguerra, directeur du Théâtre du Crochetan "voit mal comment accueillir de nouveaux spectacles de la compagnie".
A Pro Helvetia, soutien à hauteur de 27'000 francs en 2021, on rejette "fermement toute forme d'abus". "Il nous importe que les requérants (ndlr: de subventions) garantissent un environnement de travail sûr et équitable", indique la porte-parole médias, Inès Flammarion. Pro Helvetia se refuse toutefois à commenter cette affaire, le nom du chorégraphe condamné n'ayant pas été publié par la presse.
Embarras palpable
L'embarras est palpable alors que les subventionneurs ont ajouté des clauses éthiques à leurs chartes de subventionnement, suite à la prise de conscience liée au mouvement #Metoo. Au printemps prochain, le spectacle "In C" pourrait être à l'affiche d'un grand théâtre romand. La condamnation remet tout en question: "La condamnation d'un homme doit-elle prétériter le travail de toute une troupe?" Le théâtre qui n'a pris qu'une option ne veut pas se prononcer dans la précipitation. Grosse gêne aussi du côté de la Fédération romande des arts de la scène et du pool des Théâtres romands, des théâtres romands pressentis il y a peu pour… conventionner la compagnie Alias en lieu et place de Pro Helvetia. Là aussi, tout soutien est remis en question désormais.
La Ville de Genève subventionne Alias pour près de 110'000 francs par an. On dit ne pas avoir eu de demande de soutien pour l'an prochain. Mais vu les circonstances, il ne serait de toute façon pas question d'entrer en matière en cas de demande. Côté canton de Genève, même avis. En 2021, son dicastère a versé 100'000 francs au chorégraphe et à sa compagnie.
Un nouveau jugement pourrait avoir lieu d'ici six à huit mois. En cas de condamnation confirmée, même si la peine changeait, cela pourrait entraîner la fin pure et simple d'Alias, l'une des compagnies de danse contemporaine les plus connues de Suisse.
Thierry Sartoretti/aq