"Olympia" est un spectacle beau. Parfaitement. Avec un beau piano à queue et un bel orchestre à cordes dans les plus grandes salles. Un récital donc. Avec des chansons. Particulières les paroles de ces chansons. Elles ont la beauté des abysses. "N’abandonne pas" débute ainsi, accompagné par un pianiste en smoking qui butine chez les classiques comme chez Peter Gabriel: "On dit que t’es au bout du scotch/ Que t’es plus qu’à la bière que t’as raté le coche/ Que t’as bien mordu la poussière/ Dieu que c’est moche/ Ta main tu t’en sers comme d’un cendrier/ Tu te pisses dans les poches/ Tu tiens plus debout sans t’accrocher…"
On visionne le tableau. Peu ragoûtante à première vue cette histoire de poche. Il y a toutefois un mais: la personne qui nous déclame cette poésie de la débine en mode parlé-chanté-slamé est une jeune femme en robe de soirée, talons vertigineux, coupe de champagne, coiffure qui en impose, sa silhouette illuminée par une poursuite et son œil charbonneux passant du pianiste au public avec un regard de défiance. Une réminiscence de Dalida croisée avec Mina et Fairuz. Un personnage. Une diva. La comédienne genevoise Rébecca Balestra.
Formidable performance d’humour caustique
Olympia, c’est bien sûr la célèbre salle parisienne. C’est aussi symboliquement une sorte de Graal, le club des grandes dames de la variété et de la chanson internationale: Oum Kalsoum, Sylvie Vartan, Juliette Greco, Piaf, Barbara, Michelle Torr, Warda, Cesaria Evora… Toutes ont franchi les portes de cette Olympe de la chanson.
"Olympia", dans sa forme, est un hommage à ces célébrités. Avec Steinway à queue, changement de robes, jeté de roses et cordes luxuriantes. Sauf que cet "Olympia" est aussi une formidable performance d’humour caustique et d’auto-flagellation de la part d’une comédienne qui manie avec finesse le glamour le plus chic et la trivialité la plus brute.
Le show déraille. La musique, d’une beauté discrète à faire passer Richard Clayderman pour un dodécaphoniste, se retrouve alors en porte-à-faux avec l’attitude de la "star" ou avec les poèmes du récital, tous signés Rébecca Balestra. En voici un autre pour la bonne bouche. Il s’appelle "Nuit de follo": "Une nuit j’ai voulu compter les étoiles, mais y en avait trop/ Je me suis collé les semelles y’avait du dépôt sur le sol/J’ai vomi trois lavabos/ Je me suis fait un suçon/ Moi solo dedans l’aisselle… "
Seules les chansons de variété disent la vérité
Ces textes, délicatement scandés avec une diction parfaite en mode ré mineur, on peut les retrouver dans un recueil nommé "Minuit Soleil", titre de l’une des chansons du spectacle "Olympia", publié chez l’éditeur romand art&fiction.
Il y a peu, quelqu’un disait (était-ce l’écrivaine Annie Ernaux? Le metteur en scène Alexandre Doublet?) que seules les chansons de variété disent la vérité. Il peut être cucul la praline ce répertoire de variété. Qu’on le veuille ou non, il accompagne pourtant régulièrement des moments cruciaux de nos existences. "Olympia" est ainsi aussi un hommage malicieux à ce répertoire des cœurs brisés et des âmes en peine. S’y plonger est une madeleine de Proust au goût acidulé.
Thierry Sartoretti
"Olympia" en tournée: au TLH de Sierre (VS), les 17 et 18 septembre 2021, à l'Arsenic de Lausanne (VD), du 30 septembre au 3 octobre 2021 et au CDN de Besançon (F), du 26 au 28 octobre 2021.