Nous sommes le 17 novembre 1909 devant les guichets de la gare Cornavin, à Genève. Et Ferdinand Hodler, le peintre du Léman et des Alpes, est hors de lui. Il bouillonne, il enrage, il n’en peut plus, prêt à cogner le premier qui lui ferait une remarque désagréable. Augustine est morte.
Augustine: son ancienne amoureuse, son modèle, la mère de son fils. Ça lui fiche un sacré coup, Ferdinand. Il songe à Valentine, la femme qui partage sa vie aujourd’hui. Il se dit qu’elle aussi va partir bientôt. Car "il ne reste rien de nous, rien qu’une simple bande sèche étirée dans le bleu".
Voici du Ferdinand Hodler comme on ne l’a jamais vu ou entendu. De chair et de sang. D’un sang qui bouillonne. Un Ferdinand né sous la plume d'un écrivain hongrois d’aujourd’hui, László Krasznahorkai. Un Ferdinand incarné dans un spectacle de théâtre par un comédien béninois à la ferveur et à l’énergie sans pareilles, Hounhouénou Joël Lokossou. Et le titre de cette histoire imaginée gare Cornavin fleure bon la peinture de Ferdinand Hodler: "Une simple bande sèche étirée dans le bleu."
Du théâtre à la pause de midi
Nous sommes donc dans la file d’attente d’un guichet. Il faut patienter avant de pouvoir prendre l’express pour Vevey. Et de facto, ce spectacle aura patienté deux années avant de pouvoir se montrer. Par deux fois repoussé pour cause de pandémie. Cette fois-ci, c’est la bonne!
La création de la compagnie jurassienne Invitez le monde, mise en scène par Laure Donzé, inaugure la nouvelle saison des spectacles de Midi théâtre et se joue même dans le flambant neuf Théâtre du Jura, à Delémont. Le principe de Midi théâtre: un spectacle court, un plat du jour suivi d’un moment convivial. Parfois, on mange pendant. Parfois, on écoute après le dessert. Parfois, ça se joue en guise d’entrée. C’est selon.
Ferdinand Hodler jouait aussi de l’accordéon
Pour mieux apprécier les pensées tourmentées de celui qui vient de créer les billets suisses de 50 et 100 francs (on est alors en 1909), on écoute aussi de la musique. Aux côtés du comédien et son chapeau haut de forme, il y a l’accordéoniste Christel Sautaux et la soprano Bénédicte Tauran. Présence naturelle: Ferdinand jouait de l’accordéon quand il ne maniait pas le pinceau. Il appréciait aussi ses contemporains musiciens, par exemple Strauss ou Satie.
En 1909, le peintre pourrait s’estimer heureux car reconnu. Il n’en est rien. "Auparavant, ils ne comprenaient rien et n’achetaient pas ses toiles, maintenant ils ne comprennent toujours pas, mais ils achètent ses toiles. Ce qui a changé, c’est qu’auparavant il était pauvre et que maintenant il est riche, mais invariablement et tout aussi démesurément seul."
Il fallait un écrivain hongrois pour nous plonger dans le crâne de notre peintre national. Si vous croisez Ferdinand Hodler à la gare Cornavin, faites gaffe. Il pourrait vous mettre un pain.
Thierry Sartoretti/pr
"Une simple bande sèche étirée dans le bleu", en tournée à Delémont, Théâtre du Jura, 23 et 24 septembre; Rolle, Casino-Théâtre, le 25 septembre; Yverdon-les-Bains, Théâtre Benno Besson, le 27 septembre; Sion, Spot, le 28 septembre; Neuchâtel, au Pommier, le 29 septembre; Villars-sur-Glâne, Nuithonie, le 30 septembre et Vevey, Le Reflet, les 1 et 2 octobre.