Il y a une dizaine d'années, Yvette Théraulaz créait un spectacle musical, "Histoires d'Elles", construit autour de la figure de sa mère, née en 1920 et qui n'a obtenu le droit de vote qu'à l'âge de 51 ans. La chanteuse et comédienne y tricotait l'histoire singulière d'un destin de femme avec celui de la Grande Histoire, celle du combat des femmes pour leurs droits et leur dignité.
Aujourd'hui, sur la même base d'un show dit et chanté, Yvette Théraulaz raconte "Histoires d'ILS". "Après avoir consacré tous mes spectacles aux femmes, je voulais donner la parole aux hommes, leur rendre hommage, surtout en ces temps troublés de #MeToo. Je voulais parler des hommes que j'ai croisés, ceux que j'ai aimés, ceux qui m'ont aimée ou qui m'ont fait du mal. Certains sont des salauds sans vergogne, mais ce sont des hommes comme moi", dit Yvette Théraulaz.
Le collage textes et chansons, télescopant sa propre vie et celle des autres, est devenu la signature d'Yvette Théraulaz. "Un principe qui permet de créer des chocs, dit-elle. Selon où l'on place un texte ou une chanson, ça change tout le sens. Mais je laisse aussi des blancs. En bonne brechtienne que je suis, les spectateurs n'ont qu'à travailler!" s'amuse-t-elle.
Le père ouvre et ferme le spectacle
"Histoires d'ILS" commence par son père, Maurice, "le premier qui m'a prise dans ses bras", un homme bon et droit, qui a vécu humblement sans jamais se révolter contre ceux qui l'exploitaient. "Petite fille, je craignais qu'il soit humilié. Je ne supporte pas l'humiliation. C'est à cette époque qu'est née ma révolte", raconte la comédienne.
Il est aussi question de son fils, David Deppierraz, aujourd'hui père de deux petites filles et scénographe du spectacle, et de son fidèle pianiste, Lee Maddeford, qui l'accompagne dans ses récitals depuis vingt ans.
Entre son père et son fils, il y aura: le premier amour, l'homme de sa vie et celui du train, le jeune amant, le professeur prédateur, l’écrivain qui console, l’homme blessé, le misogyne effrayé, le chanteur amoureux de la poésie, l’ami timide, le professeur de musique, l’homme en colère qui estime que, depuis #MeToo, la chasse aux hommes est ouverte, et le metteur en scène quadragénaire qui pense être celui qui doit déflorer son élève de 14 ans pour qu'elle comprenne mieux son texte. La question posée à travers tous ces portraits: qu'est-ce qu'un homme aujourd'hui?
Autant de points de vue qu'elle fait entendre pour témoigner de ce qu'Einstein – qu'elle cite – disait déjà: "Il est plus difficile de désagréger un préjugé qu'un atome."
Une victoire pour les femmes n'est pas une défaite pour les hommes. Il faut sortir de cette logique de guerre.
Le panthéon des hommes aimés
Il y a aussi le panthéon des hommes qu'elle ne connaît pas et qui l'ont inspirée: Mastroianni, Piccoli, Trintignant, Christian Bobin, J.M.G. Le Clézio et Tchekhov. Et ceux qu'elle chante: Nougaro, Brel, Souchon, Renaud, Sarclo. Malicieusement, Yvette Théraulaz a aussi pensé à un florilège de chansons misogynes ou sexistes de Sardou, Gainsbourg ou Brassens. "Et aussi à certains rappeurs et leur culture du viol. Leurs clips sont vus par des millions de gens, et ça infuse dans l'ADN social", poursuit Yvette Théraulaz. Mais elle tient à préciser que son spectacle, même s'il aborde des sujets graves, est drôle avant tout.
Grave comme la question du viol, et celle du harcèlement qu'elle a vécu très jeune. "Je me rends compte que je n'ai rien dit, qu'on n'a rien dit. Je parle aussi de mon silence, de ce sentiment de me sentir complice. Avec #MeToo, tout m'est revenu en mémoire."
Comme toujours avec la comédienne, l'humour l'emporte sur l'envie de représailles, l'amour sur le ressentiment et la compassion sur la haine. Yvette Théraulaz, issue d'un milieu modeste, s'émerveille toujours et encore de la chance qu'elle a eue d'exercer – et de continuer d'exercer – sa passion de la scène et même d'en être récompensée, notamment en 2013 par le prestigieux Anneau Hans-Reinhart et en 2018 par le Prix culturel Leenaards.
Propos recueillis par Pierre Philippe Cadert
Adaptation web: Marie-Claude Martin
"Histoires d'ILS" , un spectacle d'Yvette Théraulaz mis en scène par Stefania Pinnelli. En tournée romande, notamment jusqu'au 17 octobre au Théâtre 2.21 à Lausanne, et les 19 et 20 novembre au Théâtre du Jura à Delémont.