Nous sommes le 24 février 1981. Charles, 33 ans, affiche son habituelle tête de vieux garçon coincé. Diana se cache derrière sa mèche, timide. Elle a à peine 19 ans. Buckingham vient d’annoncer leurs fiançailles. La presse britannique est là. C’est l’instant des questions: "Alors, vous êtes amoureux?" "Bien sûr!" souffle illico Diana. "Oui", répond le prince avant d’ajouter cette phrase: "Quel que soit le sens du mot amour." On connaît la suite de l’histoire. Deux enfants, un divorce et un pilier de tunnel parisien raide comme un point d’exclamation.
"Les sentiments du Prince Charles", ce fut d’abord une BD formidable. Petit format en noir et blanc, signé de la Suédoise Liv Strömquist. On la trouve encore et toujours en librairie sous la bannière indépendante de l’éditeur Rackham. L’épisode des fiançailles arrangées y figure en bonne place. "Les sentiments du Prince Charles", c’est aussi et désormais un spectacle jubilatoire, signé Martine Corbat et Jean-Louis Johannides à la tête de leur compagnie L’Hydre Folle.
Une mine d'informations sur les relations hommes-femmes
Dans "Les sentiments du Prince Charles", il n’y a pas que cette histoire de prince et princesses qui finissent en grenouilles. On y trouve aussi une mine d’informations, d’observations et d’études scientifiques, sociales, psychologiques et j’en passe, sur la grande et la petite histoire des rapports amoureux entre hommes et femmes.
C’est précis, argumenté, implacable et c’est surtout délivré avec un grand sourire. Car mieux vaut rire que pleurer lorsque l’on écoute l’histoire édifiante de la chanteuse Whitney Houston et son mari Bobby Brown, paroxysme de l’amour toxique et de la relation à éviter à tout prix sous peine de mort.
Complice et canaille
La BD d’origine est bavarde. Le théâtre lui ajoute de la musique, des chansons et un généreux supplément d’humour et d’esprit joueur. Sur le plateau du Théâtre du Loup, jonglant avec robes, perruques, guitares et accessoires, voici Julien Tsongas (dans de multiples rôles et identités sexuelles), Martine Corbat (représentante des diverses typologies féminines) et un chœur au genre variable, les musiciens Pierre Omer et Julien Israelian. Une belle équipe que l’on sent complice et canaille.
Dans "Les sentiments du Prince Charles", on décerne des prix. A chaque fois, l’occasion d’une savoureuse cérémonie avec générique façon Eurovision 1984, strass et paillettes. Ainsi, le Prix Bobonne, décerné à la fidèle épouse qui aura fait preuve d’un maximum d’abnégation à l’égard de son mari. Par exemple, Mary Welsh Hemingway pour avoir soigné son Ernest, alcoolique paranoïaque, pendant les dix dernières années de sa vie. Ou encore Nancy Reagan, épouse dévouée et recluse de son ex-président, ex-comédien de mari, frappé par la maladie de Parkinson.
L’hymne des harceleurs jaloux
On y attribue aussi des Oscars. Ceux du petit ami le plus provocateur de l’histoire. Provocateur en quoi? En abus et en harcèlement. Sur le podium: Karl Marx, qui engrosse sa femme de chambre et ne crédite pas sa femme, Jenny, maintes fois enceinte elle aussi, pour la co-écriture du "Manifeste du parti communiste". On y trouve aussi… Sting, auteur de la chanson "Every breath you take", hymne pour tous les harceleurs jaloux et immatures déterminés à pourrir à jamais la vie de leur ex. Ecoutez les paroles: "A chacune de tes respirations, je t’observerai (…) tu m’appartiens…" Sympa.
Ce spectacle est à découvrir dès 14 ans. Oui, c’est féministe. Oui, c’est quand même drôle et glamour. Et oui encore: ce n’est pas réservé aux seules filles.
Thierry Sartoretti/aq
"Les sentiments du Prince Charles", Théâtre du Loup, Genève, jusqu’au 17 octobre 2021; Théâtre du Jura, Delémont, les 12 et 13 janvier 2022; Casino-Théâtre, Rolle, les 5 et 6 février 2022.