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"Contre-enquêtes", le théâtre a la parole sur la colonisation

Le comédien Mounir Margoum dans la pièce "Contre Enquêtes" de Kamel Daoud, mise en scène par Nicolas Stemann. [Philippe Weissbrodt/Théâtre de Vidy]
Contre-enquêtes / Vertigo / 7 min. / le 7 octobre 2021
Inspiré du roman "Meursault, contre-enquête" de Kamel Daoud, lui-même inspiré de "L’Etranger" d’Albert Camus, cette création théâtrale de Nicolas Stemann se joue à Vidy-Lausanne jusqu’à vendredi. Qui a le droit de prendre la parole sur l’Algérie et son histoire?

L’un commence ainsi: "Aujourd’hui, maman est morte". L’autre débute comme ça: "Aujourd’hui, M’ma est encore vivante".

Le premier, c’est "L’Etranger" du romancier Albert Camus, millésime 1942, récit au "je" d’un dénommé Meursault, lequel attend son exécution et repasse le fil de sa vie. Dans un état de quasi-absence, il a tué un arabe anonyme à coup de revolver sur une plage d’Oran.

Le second, c’est "Meursault, contre-enquête", un autre roman signé Kamel Daoud et publié en 2014. Plus de septante ans après, voici la réponse à "L’Etranger". L’auteur algérien donne un prénom à cet Arabe tué par un Roumi, un blanc: il s’appelait Moussa. C’est son frère Haroun qui nous raconte toute l’histoire. Qui nous livre sa version du meurtre.

Voici un troisième larron. C’est une pièce de théâtre. Elle est signée Nicolas Stemann, metteur en scène et actuel directeur du Schauspielhaus de Zurich. Son titre: "Contre-enquêtes". Avec un "s" qui fait toute la différence.

L'enjeu du droit, de la légitimité

Sur la scène du Théâtre de Vidy-Lausanne producteur de ce spectacle malmené par les successives fermetures covidiennes et enfin visible, il n’est plus seulement question de "L’Etranger" ou de donner un nom à la victime, quand bien même cet inconnu ne serait qu’un personnage de fiction, simple miroir placé dans ce roman pour démontrer l’absurdité des mécanismes qui peuvent conduire un humain à commettre un meurtre.

Désormais, l’enjeu c’est le droit, la légitimité, la position de la personne qui raconte cette Histoire. Une histoire avec un "H" majuscule. Celle de la colonisation, puis de la décolonisation et des rapports aussi complexes que douloureux persistant entre une ex-puissance coloniale (la France) et son ancienne colonie devenue indépendante au terme d’une guerre (l’Algérie).

Une magistrale leçon de théâtre

A qui la parole, alors? Au frère du Moussa incarné avec maestria par le comédien Mounir Margoum, déjà vu dans un précédent rôle de… templier dans "Nathan Le Sage", mise en scène également signée Nicolas Stemann. Ou à cet autre personnage qui débarque avec un physique proche de celui de Camus, incarné par le comédien Thierry Reynaud, lequel va à son tour s’inviter dans cette histoire ?

Pas question d’en dire plus sous peine de dévoiler toute la mécanique et la réflexion de ce fabuleux spectacle. Il nous montre que le théâtre peut aller plus loin, plus profondément encore que le texte dont il s’inspire. Albert Camus et Kamel Daoud en sortent éclairés. Et "Contre-enquêtes" s’inscrit dans les réalités les plus brûlantes du débat politique et social actuel. Une magistrale leçon de théâtre.

Thierry Sartoretti/olhor

"Contre-enquêtes" de Nicolas Stemann, Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu’au 15 octobre.

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