Alexandre Guérin a porté la chemise des scouts de St-Luc. C’était il y a longtemps, très longtemps même. Il s’en souvient pourtant trop bien. Il y avait le père Preynat qui le prenait à part, en toute discrétion pour partager "leur petit secret".
A Lyon et alentours, le père Preynat, a pu commettre ses actes pédophilies en toute facilité. Protégé par son statut d’ecclésiastique et sa bienveillance vis-à-vis des parents. Protégé par sa hiérarchie, qui se contentait de le déplacer dans une autre paroisse quant ses actions risquaient de provoquer un scandale.
"Grâce à Dieu, ces faits sont prescrits"
Un jour Alexandre Guérin a décidé de parler. A sa famille d’abord. Puis à l’Eglise ensuite. Toujours cette idée que le linge sale doit se laver au sein de l’institution pour ne pas lui porter préjudice. En 2015, lui et quelques autres victimes fondent l’association La parole libérée, exaspérés par la réponse du cardinal Philippe Barbarin, chargé du diocèse de Lyon: "Grâce à Dieu, ces faits sont prescrits."
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Mise en scène helvétique
D’affaire scandaleuse, "Grâce à Dieu" est devenu un film, signé François Ozon. Puis une pièce de théâtre, également écrite par ce même François Ozon qui souhaitait offrir sur scène comme à l’écran une parole aux victimes d’un pédophile et du silence de l’Eglise catholique.
L’affaire a donné lieu à une enquête approfondie sur les cas de pédophilie au sein de l’Eglise de France. Elle a rendu ses conclusion, accablantes, en octobre dernier, dans ce que l’on nomme désormais le "rapport Sauvé".
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En Suisse, l’Eglise catholique fait également l’objet d’une enquête. Une commission indépendante devrait commencer son travail… l’an prochain. D’ici là, on peut se plonger dans la mise en scène helvétique de "Grâce à Dieu". C’est aussi un François qui la signe: François Marin, Valaisan d’origine et ancien directeur du Théâtre de Valère à Sion.
Plus de trente personnages
"Grâce à Dieu" est une prouesse pour les actrices et acteurs. Sa troupe – Christian Cordonnier, Frédéric Lugon, Sabrina Martin, Yann Pugin et Sylviane Tille – doit interpréter plus de trente personnages différents. Il y a les victimes, leurs familles, les ecclésiastiques, les journalistes, les fonctionnaires de police, etc. Et bien sûr Alexandre Guérin, l’homme par qui le mensonge, la honte et le non-dit ont enfin cessé.
La mise en scène de "Grâce à Dieu" se concentre sur la clarté et l’efficacité de ce récit. Il s’agit avant de comprendre comment le mécanisme de la parole peut et doit se mettre en place pour combattre un silence odieux.
Dans le public, l’attention est soutenue. Les réactions parfois très fortes. La question des abus ne concerne pas que l’église catholique de Lyon. Et pour François Marin, la force de "Grâce à Dieu" se trouve dans cet enjeu de la libération de la parole.
Thierry Sartoretti/aq
"Grâce à Dieu", au Théâtre des Osses, Givisiez, jusqu’au 12 décembre 2021. Le 3 décembre, représentation suivie d’une discussion avec Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.