Trois ordinateurs posés sur des tables, des écrans, quelques câbles. Cela pourrait être une conférence avec pour objet les avancées technologiques du moment. C’est un spectacle. Le récit vertigineux d’une expérience unique par Tammara Leites et Simon Senn.
Quand une développeuse informatique d’origine uruguayenne rencontre un artiste genevois, cela donne "dSimon". Une création à… trois. Car il faut désormais compter avec dSimon, soit digital Simon, l’avatar numérique de Simon Senn. Il est là, sur l’écran, livrant ses textes ou apparaissant sous les traits digitalisés de l’artiste. Ne le cherchez toutefois pas physiquement dans la salle de Vidy-Lausanne, dSimon. Son cerveau, ou disons plutôt ses neurones, se trouvent dans un centre de données quelque part en Californie.
Une intelligence artificielle pour produire de la fiction
Le récit commence dans les couloirs de la HEAD, la Haute école d’art et de design de Genève. Tammara Leites souhaite créer une intelligence artificielle qui puisse produire de la fiction. Des romans, des scénarios, etc., tout cela nourri par une base de données et dans un processus d’auto-apprentissage, le GPT ou Generative Pre-Training Transformer. Il faut pour cela connecter les données avec l’un des plus grands centres de neurones artificiels de cette planète, le consortium OpenAI, dont l’un des propriétaires est Elon Musk.
Comment procéder? Les premiers essais de Tammara Leites n’étant pas concluants, elle s’adresse à Simon Senn, enseignant à la HEAD, dont elle avait apprécié un précédent spectacle - "Be Arielle F " - qui traitait de la possibilité d’acheter un corps virtuel sur internet. Téméraire, un peu candide sans doute, aventureux certainement, Simon Senn propose à Tammara Leites d’exploiter l’ensemble de ses données personnelles depuis quinze ans.
Un double numérique rempli de données
Et c’est ainsi que naît dSimon, double numérique de Simon Senn. Dans son "cerveau", quinze ans de correspondances, réflexions, messages, notes de l’artiste. Auxquels s’ajoutent l’intégralité de Wikipedia dans toutes les langues d’internet, plus toutes les données que la société OpenAI aura bien voulu placer dans ses stocks. Un doux mélange d’intime et de données publiques. Le résultat: surprenant pour le meilleur et… pour le pire. En dire plus à ce stade serait dévoiler le spectacle "dSimon".
Disons simplement que cette création, désormais à trois, ouvre des tiroirs géants de questions: éthiques, psychologiques, informatiques, anthropologiques, sociologiques, politiques et même économiques. Ce n’est pas de la science-fiction. C’est ici et maintenant que cela se passe. Et c’est simplement captivant de complexité.
Thierry Sartoretti/olhor
"dSimon" au Théâtre Vidy-Lausanne, jusqu’au 12 décembre. Puis au Théâtre du Grütli, Genève, du 24 février au 8 mars 2022.