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"Avant la retraite", une comédie théâtrale pour rire du nazisme

"Avant la retraite", une pièce signée Thomas Bernhard. [DR - Dorothée Thébert-Filliger]
Avant la Retraite / Vertigo / 6 min. / le 7 décembre 2021
"Avant la retraite", du dramaturge autrichien Thomas Bernhard, nous plonge dans un huis-clos où règnent nazisme, inceste et haine familiale. Et c’est drôle! A voir à l’Arsenic de Lausanne jusqu’au 12 décembre, puis au Théâtre St-Gervais à Genève.

Un massacre en lever de rideau. L’assassinat en règle de Mozart et sa kleine Nachtmusik. C’est joué live en trio et ça fait saigner les gencives tellement c’est faux. C’est jour de fête dans ce salon bien bourgeois et suranné où l’on aime la grande musique et les valeurs d’antan.

Un trio fraternel acide

Rudolph, président du tribunal de la ville, part tout prochainement à la retraite. Il a plus d’un mort sur la conscience cet ex-officier nazi dont l’album de photos-souvenirs mélange séjours au bord de la mer et vues du camp d’extermination. Rudolph habite la maison familiale avec ses deux sœurs.

Il y a Vera, la maîtresse de maison et sa maîtresse tout court. Et puis il y a Clara, la gauchiste, l’handicapée, clouée sur sa chaise roulante, muette la plupart du temps, victime de l’ultime bombardement allié sur l’école de la ville. On nous précise que Clara, dont le visage exprime une haine infinie pour les siens, est à la fois le souffre-douleur, l’otage et la juge de cette fratrie.

Tout doit être impeccable dans la maisonnée. Rudolph se prépare pour le grand jour. Il ne s’agit pas de son départ à la retraite. Chaque année, Rudolph le zélé commémore l’anniversaire de son ancien supérieur, le SS Himmler. Et puis qui sait, le grand jour, c’est peut-être celui où Rudolph pourra enfin parader à nouveau dans les rues de sa ville avec son bel uniforme noir.

Expulser les résidus nazis

Sinistre histoire. Et pourtant, "Avant la retraite" est bel et bien une comédie. Son auteur, l’Autrichien Thomas Bernhard, l’a sous-titrée "comédie de l’âme allemande". Et de fait, on rit en découvrant ce huis-clos théâtral. Un rire acide, ironique, terrible, devant les énormités que peuvent proférer Rudolph et Vera.

Les trois interprètes de cette pièce la décrivent comme "un laxatif destiné à expulser les résidus nazis nichés dans les entrailles domestiques des sociétés allemandes et autrichiennes". Une belle purge en vérité. Millésime 1979 par un Thomas Bernhard qui reste, trente-deux ans après son décès, le plus grand poil à gratter de la bonne conscience germanique.

Postiches et costumes ridicules

Barbes, postiches, costumes ridicules et maquillage forcé, les trois protagonistes de "Avant la retraite" poussent la comédie jusqu’au bout, déterminés à porter les clichés du théâtre à l’ancienne jusqu’à leur paroxysme. Comme si la défunte émission "Au théâtre ce soir" était projetée dans une dystopie nazie. Sur ce coup-là, on n’attendait pas le trio de comédien-ne-s Marion Duval, Aurélien Patouillard et Camille Mermet, plus familier d’un théâtre contemporain fantasque et affranchi du poids de l’Histoire.

"Avant la retraite" n’est pas ce qu’on pourrait appeler un spectacle de Noël, confit dans la distraction avec fin heureuse garantie. Mais, promis juré, on y rit et il est bon d’entendre les mots de Thomas Bernhard à l’heure où certains, notamment chez nos voisins français, rêvent d’un grand jour de cet acabit.

Thierry Sartoretti/sb

"Avant la retraite", l'Arsenic, Lausanne, jusqu’au 12 décembre 2021; Théâtre St-Gervais, Genève, du 26 au 30 janvier 2022.

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