C’est l’hiver à Sokcho, une station balnéaire près de la frontière des deux Corée. En été, c’est bondé. Hors saison, il y règne l’ennui. Du moins à la pension du vieux Park, un endroit décati où l’on échoue forcément par hasard.
C’est là que travaille en cuisine une étudiante franco-coréenne. Son fiancé poursuit à Séoul ses rêves de mannequinat alors que sa vie à elle ressemble à Sokcho: elle hiberne, attend un printemps qui tarde à venir. Un jour débarque un voyageur, un Français, dessinateur de BD, venu chercher l’inspiration dans les embruns.
Un hiver contagieux
Publié en 2016, le premier roman de l’autrice jurassienne Elisa Shua Dusapin est devenu un best-seller international maintes fois récompensé et traduit. Le voici en version théâtrale, adapté à la scène par le metteur en scène et comédien Frank Semelet, avec la complicité de l’autrice. On ne le savait pas, l’hiver ça peut être contagieux.
Créé une première fois en format bref pour accompagner les plats des tournées Midi théâtre, "Hiver à Sokcho" devait renaître illico après dans une version scénique plus ambitieuse. Las, la crise du Covid a renvoyé ce spectacle au congélateur pendant plus d’un an. Aujourd’hui, au lendemain d’un énième prix littéraire et américain prestigieux pour "Hiver à Sokcho", les attentes envers ce spectacle ont décuplé et après une création au théâtre Le Reflet à Vevey, la pièce se retrouve aujourd’hui embarquée dans une tournée romande fleuve.
Une histoire suggérée en trio
Comment retranscrire sur un plateau cette histoire peuplée de non-dits, de silence, ce roman de l’entre les lignes à l’écriture sobre et pudique? Avec un jeu sur le fil, tout en retenue. Cette histoire se raconte au féminin et dans le rôle de la jeune franco-coréenne tendue entre sa timidité, son abnégation et sa frustration, la comédienne Isabelle Caillat excelle.
Dans la vareuse du bédéiste normand bourru, Frank Semelet se fait discret, insaisissable, il est un homme qui passe. Ces deux-là pourraient tomber amoureux, iels ont cependant toutes les peines à s’exprimer et à se comprendre. "Hiver à Sokcho" n’est pas une version coréenne du film "Lost in translation". Ce qui manque ici, ce n’est pas le vocabulaire, c’est le fait d’oser.
Un troisième larron vient se mêler au duo. Le bédéiste Pitch, assis sur un coin de la scène derrière sa tablette graphique. Il dessine en direct et ses traits remplissent le grand écran qui sert de fond de scène. Voici un paysage coréen, la devanture de la pension du vieux Park, voici les croquis du bédéiste perdu à Sokcho (tiens, la fille dans ses carnets ressemble beaucoup à l’étudiante!) et même les pensées des personnages qui apparaissent au-dessus d’Isabelle Caillat et Frank Semelet à la façon des bulles de BD. Parfois, le dessin de Pitch révèle le duo de scène telle une poursuite lumineuse.
Ainsi, l’histoire avance avec ce même rythme engourdi par le froid de l’hiver coréen, sans trop de mots, bercée par la musique et souvent plus suggérée que pleinement racontée.
Thierry Sartoretti/sb
Frank Semelet, "Hiver à Sokcho", Théâtre du Crochetan (Monthey) le 18 janvier, Nebia (Bienne) le 20 janvier, Le Spot (Sion) le 25 janvier, Théâtre Benno Besson (Yverdon-les-Bains) le 28 janvier, Nuithonie (Villars-sur-Glâne) le 30 janvier, Spectacles Onésiens (Onex) le 2 février, Casino-Théâtre de Rolle les 8 et 9 février, Salle de l'Inter (Porrentruy) les 11 et 12 février, Théâtre de Beausobre (Morges) le 8 mars, TPR (La Chaux-de-Fonds) les 10 et 11 mars, Centre Culturel de la Prévôté (Moutier) le 13 mars.