Le blizzard souffle, glacial, et la piste disparaît sous les bourrasques de neige. Les chiens de traîneau doivent batailler ferme pour tirer leur charge, provisions, matériel de prospection, nourriture et ces trois chercheurs d’or patauds, brutaux et mal équipés pour affronter l’hiver du Grand Nord. Nous sommes en Alaska, à la toute fin du 19e siècle, dans la région du Klondike, au cœur du roman de l’écrivain bourlingueur américain Jack London.
"L'appel sauvage" ("Call of the Wild" en vo), est le plus célèbre des romans de London. Son premier succès, fruit de ses propres expériences de chercheur d’or, publié sous forme de feuilleton en 1902 et best-seller immédiat, plus connu en français sous le titre de "L’appel de la forêt".
Trois acteurs formidables
Le roman passe aujourd’hui des pages à la scène. Au Théâtre des marionnettes de Genève, ventilateur, machine à brouillard et confettis jouent magnifiquement le blizzard. Trois acteurs formidables enfilent vestes matelassées et bonnets de fourrure à la poursuite de leur rêve aurifère:Joël Hefti, Fanny Pélichet et Diego Todeschini.
L’essentiel est entre leurs mains: les chiens, des marionnettes, dont Buck, héros et narrateur de cette histoire qui n’épargne ni les humains ni les bêtes. Buck a été capturé en Californie, vendu et revendu maintes fois, pour finalement se retrouver attaché en tête d’attelage de cet improbable traîneau qui avance avec peine en direction d’un improbable filon au-delà du fleuve Yukon.
Découverte du monde sauvage
"L'appel sauvage", mis en scène par Isabelle Matter, directrice du Théâtre des marionnettes de Genève, est le récit de la confrontation entre la brutalité de la nature et la cruauté des humains, rendus fous furieux par la quête de l’or. De paisible toutou couché aux pieds de son maître, un juge californien, Buck va s’endurcir sous le froid, la faim, les coups et les crocs de ses congénères affamés.
Son salut viendra d’un trappeur plus humain et surtout de sa découverte du monde sauvage. Dur, sans pitié, oui, mais moins irrationnel que celui des humains. Il n’est ici question que de survie. Et de liberté au pays des loups.
La parole donnée aux canidés
Il fallait trouver un langage, plusieurs langages même, pour jouer sur scène cette histoire racontée par Jack London du point de vue d’un chien. Retournement, la parole appartient aux canidés alors que les humains alignent borborygmes et grognements inintelligibles. Quant à la forêt, c’est une énergie, un souffle, un esprit, mélange de vent, de hurlements et de craquements. L’ensemble est saisissant et l’on est vite captivé par ce récit rondement mené par le trio des bonnets à fourrure.
Mieux vaut avoir huit ans et plus pour apprécier cet "Appel sauvage". Nous sommes ici dans une histoire scandée par la mort et mordue par le froid. C’est le monde des loups et de la faim, pas celui des bisounours et des tartines de confiture. Une façon aussi de nous rappeler que la nature est belle et qu’il ne faut pas la confondre avec un paradis biblique ou un parc d’attractions.
Spectacle recommandé. En hiver comme au dégel.
Thierry Sartoretti/aq
Genève, TMG, jusqu’au 30 janvier. Villars-sur-Glâne, Nuithonie, les 4 et 5 février 2022