"Nord", un spectacle sur les traces d'une femme partie au loin

Ça débute ici. A Helsinki. Quartier populaire de tours HLM, grand tas de charbon, mouettes posées dessus et mer froide à proximité. Ce lieu a déjà servi de décor au cinéma. Le réalisateur finlandais Aki Kaurismaki y a tourné son "Homme sans passé". Depuis, ça s’est construit un peu plus. Pas pour le meilleur. Au cinéma, nous y sommes aussi dans "Nord", un spectacle hybride et singulier comme aime les concocter le duo genevois Cosima Weiter et Alexandre Simon. Dans le théâtre du Grütli, à Genève, on est d’abord happé par ce grand écran qui diffuse ce plan fixe d’Helsinki bien gris.

"Nord", c’est l’histoire d’une femme. Une inconnue marche en direction du pôle. Elle part d’Helsinki et avance tout droit. On ne la verra jamais à l’écran. On appréciera les paysages qu’elle traverse. Lentement. Très lentement. Friches urbaines, puis forêts, toundra, puis plus grand-chose, et enfin la banquise, gelée et striée. Dans "Nord", il y a un peu de verdure et beaucoup de neige ou de glace. Voilà pour les images filmées.

Un voyage à l'enveloppe musicale

Passons maintenant au théâtre. Dans "Nord", pour suivre cette histoire de femme qui va bientôt "marcher sur la mer", on entend une voix off (la femme) et on voit trois comédiennes et comédiens qui vont tour à tour incarner une nivologue, un forestier, un chauffeur, la propriétaire d’une boutique, un prospecteur d’arbres à papier et un éleveur de rennes. Leur point commun: ils vivent sur la route de cette femme et l’ont rencontrée.

A travers les voix de Coline Bardin, Lara Khattabi et Pierre Mourre, on en apprend un peu sur la Finlande, le nord, la neige, les arbres et la faune. On n’en saura guère plus sur la femme. Elle n’est pas bavarde. De temps à autre, les comédiens se posent face à l’écran et regardent, comme nous autres du public, ces paysages de blancs et de gris qui défilent de manière hypnotique.

Pour nous accompagner dans ce voyage, on découvre aussi un quatuor à corde de l’Ensemble Contrechamps: les excellents instrumentistes Martina Brodbeck, Hans Egidi, Maximilian Haft et Raya Raytcheva. On ne quitte pas les frimas car le répertoire interprété en live juste à côté de l’écran est signé Kaija Saariaho, compositrice finlandaise appréciant dissonances et échos folk venus du Grand Nord. D’autres musiques plus électroniques se joignent au périple: Lau Nau, Northaunt ou Alva Noto, pêchés également dans les parages du Cercle polaire arctique et remixés par Bertrand Siffert, habituellement paysagiste sonore des rockers Young Gods.

Un spectacle qui balade et apaise

Au final, "Nord" nous balade. Avec les moyens de transport du cinéma, du théâtre et du concert. Ce mouvement tout en douceur et nappes musicales encordées rappellera à certain le cinéma d’un Theo Angelopoulos qui serait passé de la Grande Bleue au Grand Blanc. "Nord" ne dure qu’une heure et pourtant on sort de ce spectacle avec l’impression apaisée d’un voyage au long cours dans la contemplation et la méditation.

Par le passé, le tandem Cosima Weiter et Alexandre Simon avait transporté carnets de notes et caméra dans la Californie des marges piétonnes, en Angleterre et chez les fantômes de l’ex RDA. Leurs spectacles leur ressemblent: des voyageurs à la recherche de ce que l’on oublie ou évite généralement de regarder.

Thierry Sartoretti/ads

"Nord" de Cosima Weiter et Alexandre Simon, au Théâtre du Grütli, Genève, jusqu'au 20 février.