Rock & théâtre. A la scène, ce couple a rarement fait bon ménage. Le premier s’avère souvent rétif aux impératifs d’un spectacle écrit et le second retient trop souvent les clichés de son partenaire au détriment de son esprit.
Débarque "This cool cool wind makes me feel so good" et le miracle s'accomplit. Du théâtre rock. Du rock théâtral. Plutôt tendance low-fi, bruitiste, un peu cra-cra, mal peigné, limite grunge ou punk, minimaliste assumé. Avec une poignée de mots, un décor repêché à la brocante de l’Armée du salut, pas de musique sauf si elle fait partie intégrante de ce qui se déroule devant nos yeux. La démarche rappelle le mouvement Dogma du cinéaste danois Lars Von Trier et ses "Idiots" filmés au plus près de la vie.
"This cool cool wind makes me feel so good" donc. Un titre qui raconte déjà une histoire et un formidable duo de jeunes comédiennes Isumi Grichting et Julie Bugnard, alias la compagnie "I finally found a place to call home".
Le rêve d'un futur moins poisseux
Que voit-on dans ce spectacle, à voir à Sion au Spot, du 4 au 6 mars, où plane une douce léthargie distillée par la musique des années 1980 à guitares du groupe écossais Jesus & The Mary Chain, qui chantait les paysages sombres et la joie d’être sous la pluie un jour d’avril?
Assise par terre, un linge de bain sur les épaules, T. se coupe les mèches. Pull informe, dinosaure en plastique serré sous le bras pour ne pas "oublier de le donner à ma fille". A côté d’elle, S. casquette vissée sur la tête et démarche d’ours, termine sa brique de thé froid, l’écrase du pied et découpe l’emballage pour obtenir deux bonhommes se tenant par la main. Une œuvre de plus à glisser dans son album de bricolages.
Sur le sol, une canette de bière cabossée, un vieux lecteur CD et des emballages de bouffe. Un four électrique à la minuterie insistante cuit des tartelettes au fromage. La scène est banale, pitoyable, silencieuse la plupart du temps sauf quand T. pose une question. S. lui répond, toujours avec un temps de retard, souvent en parlant d’autre chose.
Bienvenue dans le monde à la marge de T. et S. Deux personnages paumés, deux losers. Il est question d’une perte de garde d’enfant ("Tu penses que je suis une mauvaise mère?" demande T. à S. qui lui répond avec une proposition de… soirée karaoké), d’un futur moins poisseux ("Quand je prends le train, je me dis à chaque arrêt: je pourrais sortir là et commencer une nouvelle vie", raconte S.), d’un passage au kiosque pour acheter des clopes et de ce copain, Sid, dont les SMS restent sans réponses "parce que je crois que je suis méchante avec lui". Si "This cool cool wind" (ndlr: on abrège, d’accord?) était un film, il serait peut-être "Sans toit ni loi" d’Agnès Varda, "Gummo" d’Harmony Korine ou "Last Days" de Gus Van Sant. Un cinéma de la débine.
Ode à la débrouillardise
Misérabiliste "This cool cool wind", créé une première fois au Festival FAR et depuis en tournée? Au contraire. Plein de tendresse, d’humour, d’ode à l’amitié, à la débrouillardise et radical dans sa volonté d’imposer son rythme et sa forme.
Quand elles ne sont pas comédiennes, promotion 2018 de la Manufacture (la Haute Ecole des arts de la scène de Suisse romande) Julie Bugnard et Isumi Grichting jouent respectivement de la guitare et de la batterie au sein du duo fracassé Sun Cousto, punk à l’esprit do it yourself. Et lorsqu’elles quittent les rives du Léman pour rejoindre leur complice valaisan Christian Cordonnier de l’équipe "You should meet my cousins from Tchernobyl" (ndlr, décidément, cet amour des titres à rallonge en anglais…), Julie Bugnard et Isumi Grichting s’embarquent pour des projets de spectacle où il est question de camions géants, d’anglais détérioré, de sous-marins en perdition ou d’adolescents à jamais perdus dans les bois. A suivre.
Thierry Sartoretti/ms
"This Cool Cool wind makes me feel so good". Sion, au Spot, du 4 au 6 mars.
"Camper". Sion, au Spot du 10 au 15 mai
"Monster Truck Killer". Sion au Spot du 26 mai au 5 juin.
Sun Cousto. En concert à Saignelégier, BFM, le 26 mars. A Vevey, au Bout du Monde, le 15 avril.