Feydeau, c’est le sport du rire. Ça se pratique avec un chronomètre. Pas pour le public, le bienheureux. Lui se bidonne et se régale sans avoir à lorgner sur sa montre. Les 2h15 du spectacle sont lampées comme un ristretto au coin du zinc. Le chrono, c’est pour la mise en scène. Il faut que ça claque chez Feydeau. Que ça fonce dans un slalom de portes, de courses-poursuites et de quiproquos qui jamais ne ronronne ou ne s’emballe inutilement.
Ils sont douze sur scène pour ce "Fil à la patte", plus le metteur en scène/entraîneur des courses Julien George et le reste de son équipe en coulisses. Julien George repique à Feydeau et ses vaudevilles pour la troisième fois. Avant, il y a eu "La Puce à l’oreille", gros triomphe sur les scènes romandes. Puis le plus modeste (par la taille de la distribution) "Léonie est en avance".
Du monde sur le plateau
Pour dérouler ce fil à la double intrigue – un amant/futur mari couard à souhait et un imbécile aux prises avec un fou furieux jaloux – Julien George reconvoque peu ou prou l’intégralité de l’excellente équipe qui dynamita sa "Puce à l’Oreille" voici 10 ans. On les cite, il n’y en a pas un, pas une qui soit en dessous du lot, tous et toutes délicieusement drolatiques et pleinement au service de cette farce sur les conventions bourgeoises de la fin du 19e où le mariage et l’amour forment un couple harmonieux… à la condition qu'ils ne se mélangent pas.
Applaudissons donc Carine Barbey en chanteuse enthousiaste et amoureuse, Janju Bonzon ou Khaled Khouri (ils travaillent en alternance) en acteur et maître du décor, David Casada dans le rôle de l’impossible Bouzin, crétin devenu champion de la course à pied par nécessité de survie, Laurent Deshusses en amant/futur mari emberlificoté dans ses mensonges, Nelson Duborgel en imperturbable maître d’hôtel, Gaëlle Imboden en titi parigot, Thierry Jorand en impayable courtisan qui pue du bec, Léonie Keller en fiancée délurée, Frédéric Landenberg en général d’opérette avec accent de pacotille, Mariama Sylla en soeurette innocente ou vieillard à qui on ne la fait plus, Julien Tsongas en ex ou en nounou anglaise et enfin Pascale Vachoux en dame de la Haute.
Du beau monde qui s’agite sur le plateau et fait monter à perfection cette mayonnaise dont le parfum rappellera la fameuse "Puce à l’Oreille" par la présence d’un personnage argentin récurent qui devait être à l’époque de Georges Feydeau un équivalent des actuels oligarques russes.
Une mise en scène à la Tex Avery
L’histoire, on vous la résume vite fait. Fernand de Bois-d’Enghien se la coule douce auprès de la chanteuse Lucette. Cet opportuniste doit cependant se marier à plus riche que lui et la noce est prévue le jour même avec Viviane, fille de la Baronne Duverger. Aussi fauché en devises qu'en courage, le Fernand se prend les pieds dans son tapis de mensonges. Quand débarque un clerc de notaire qui se pique d’écriture, la confusion monte d’un cran. Pour son malheur, Bouzin le pas malin passe pour un rival ou un bouc émissaire selon les intérêts et obsessions des uns et des autres.
Dans la mise en scène énergique de Julien George, le "Fil à la patte" a un côté dessin animé de Tex Avery avec des personnages aussi typés que purement au service de l’action. Et de l’action il y en a à revendre dans ces trois actes où les décors sont changés à vue par la troupe elle-même. Repoussé pour cause de pandémie, "Un Fil à la patte" revient pile-poil pour dérider un public heureux de tomber le masque, d’applaudir un théâtre avant tout joueur et d’oublier, un temps, que la fin du corona n’aura été qu'une brève trêve avant le déclenchement d’une guerre inique.
Thierry Sartoretti/ms
"Un fil à la patte", mise en scène de Julien George. Genève, Théâtre du Loup jusqu’au 13 mars. Gland, Théâtre de Grand-Champ le 18 mars. Fribourg, Nuithonie les 23 et 24 mars. Yverdon-les-Bains, Théâtre Benno Besson les 1 et 2 avril. Monthey, Théâtre du Crochetan, du 6 au 10 avril. Morges, Beausobre, le 13 avril. Renens, TKM, du 3 au 15 mai.
Jouer Feydeau peut être éprouvant: suite au malaise d'un comédien, le metteur en scène a rejoint le plateau pour sauver le spectacle. Nos voeux de rétablissement.