Certains diraient: un drôle de spectacle drôle. Avec "Natures mortes", création imaginée pour les formules de "Midi Théâtre"(un spectacle + un repas, le tout bouclé en une heure), la compagnie romande Moost invente le cirque mou, le théâtre invertébré et la danse en apesanteur. Il fallait y penser et c’est tout simplement génial.
En clair, voici quatre personnages au sortir d’une fête. Nous sommes dans une sorte d’EMS zinzin. Les tons s’affichent pastels, des pulls à la déco, les perruques sont ridicules et les gestes aussi gauches que lents. Quelques lampions, des fonds de bouteille sur la table, des bancs, un fauteuil roulant, un jeu de fléchettes et le son en sourdine d’un karaoké de variété.
Ces Natures pas si mortes
Dans ce décor en désordre, un homme, deux femmes et un chien: muets, à la ramasse et tentant de rallumer le sapin. Dans les assiettes du public, ce jour-là au Théâtre Benno Besson à Yverdon: petits pois, purée, champis, suivi d’une glace escortée d’une compote. Le menu est raccord avec l’ambiance.
Sauf que… ce n’est pas encore l’heure de la sieste chez ces Natures pas si mortes. Il y a celle qui veut à tout prix tirer ses fléchettes là où ça lui chante. Celle qui grimpe sur la table via les culots des bouteilles de mousseux pour empêcher son voisin d’avaler la moindre goutte, celui qui tente un karaoké et des tours de magie improbables et guide une tireuse à la carabine aveuglée qui n’est plus très sûre de viser les bonnes cibles. Et le chien? C’est l’animal le plus placide et le plus pince- sans-rire jamais vu sur un plateau de théâtre. Il vit sa vie, entre et sort du spectacle à sa guise, participe quand ça lui chante.
Grand art sur petite scène
La compagnie Moost, c’est Marc Oosterhoff, à la fois circassien et danseur. Un pied chez Dimitri au Tessin, l’autre à la Manufacture de Lausanne, la Haute Ecole des arts de la scène. C’est aussi Latifeh Hadji, circassienne aux aptitudes délicieusement clownesques. C’est également Camille Denkinger, une main dans les anneaux voltigeurs du cirque, l’autre dans cette même Manufacture pour y apprendre les ficelles de la mise en scène. C’est enfin Kootshik, "un chien de cirque contemporain", dixit ses propriétaires. C’est-à-dire un animal que l’on ne dresse pas et qui participe à force d’avoir assisté à toutes les répétitions et autres spectacles précédents de la compagnie, dont le remarquable et remarqué "Promesses de l’incertitude" créé il y a deux ans.
Délicieux délire, d’autant plus virtuose qu’il s’ingénie à cacher systématiquement sa virtuosité, "Natures mortes" évolue aux confins du théâtre, de la danse et du cirque, employant les outils de chaque discipline pour mieux les tordre et les renouveler avec une belle dose d’auto-ironie et d’humour pince-sans-rire. Du grand art sur une toute petite scène.
Thierry Sartoretti/aq
"Natures mortes" (Midi Théâtre) est en tournée: Bienne, Nebia, le 31 mars; Vevey, Le Reflet, les 1 et 2 avril; Porrentruy, Centre culturel, le 4 avril: Delémont, Théâtre du Jura, le 5 avril; Villars-sur-Glâne, Nuithonie, le 7 avril; Rolle, Casino-Théâtre, les 11 et 12 avril; Sion, le Spot, le 13 avril; Monthey, le Crochetan, le 14 avril 2022.