Que celle ou celui qui ne va jamais dans un centre commercial brandisse ses cartes Cumulus et Supercard! Tout le monde connaît ou pense connaître les centres commerciaux. Le premier centre suisse a été inauguré en 1970 à Spreitenbach, dans le canton d’Argovie. Un paradis de la consommation tout près de Zurich avec 1500 places de parking et 78'376 mètres carrés de surface de vente, soit onze terrains de foot. Trois ans plus tard, notre pays ouvrait quinze autres centres commerciaux et n’a cessé depuis d’en inaugurer, parfois côté français ou allemand juste après la douane.
Quelle est leur histoire? Comment ont-ils été pensés, conçus, organisés, construits? D’où vient ce concept qui est différent du "grand magasin"? Ces centres, on les traverse sans trop les observer, pressé d’y trouver notre bonheur d’acheteur et d’acheteuse. Parfois, on se surprend à y passer une journée entière: il y a les gosses qui fêtent leur anniversaire, il y a cette exposition de minéraux ou de dinosaures, le cinéma multiplex placé juste à côté de l’espace restauration, des cabinets dentaires, etc.
Les lieux de notre société de consommation
Pour mieux comprendre ce monde pas si familier, voici "L’Âge d’or, épisode II", une proposition du duo Igor Cardellini et Tomas Gonzalez. Ils ne sont pas chefs de rayon ou cadors du marketing. Ce duo lausannois œuvre dans la dramaturgie et la mise en scène, soucieux d’interroger les mécanismes et les lieux de notre société de consommation: "Dans 'L'Âge d’or', nous interrogeons certaines des forces qui nous meuvent, nous déterminent au quotidien (…) A l’orée du XXIe siècle, le mirage d’un âge d’or, utopie d’une abondance accessible à toutes et tous et infinie, conserve un fort pouvoir d’attraction".
En quoi consiste cette proposition théâtrale? Car nous sommes ici bel et bien au théâtre, quand bien même il se déploie et se vit dans un centre commercial, celui du Métropole, au cœur de Lausanne. "L’Âge d’or" est une sorte de visite guidée, à mi-chemin entre la journée du patrimoine, l’invitation à observer et la performance. Casque d’écoute sur les oreilles, un groupe d’une vingtaine de personnes suit la guide, ici Marion Duval, alias Marionne, aussi érudite que malicieuse, prête à vous faire danser entre les rayons de lingerie d’une célèbre enseigne suédoise.
Rien n'est le fruit du hasard
Au cours de cette visite, on apprend à comprendre l’agencement des vitrines, les sens de circulation préétablis par les architectes, les choix de sols et de couleurs des parois de manière à favoriser le regard, les changements de lumières de façon à maintenir un certain plaisir à se trouver là. Dans un centre commercial, du bruit aux odeurs, rien n’est laissé au hasard. On se rend également compte qu’un centre commercial, tout comme une pièce de théâtre, possède sa dramaturgie et sa scénographie. Sans parler des acteurs et actrices que sont la clientèle et le personnel de vente.
Ce printemps, "L’Âge d’or" déambule dans un centre commercial. Auparavant, l’épisode I de ce projet se situait dans un siège d’assurance. Bientôt le troisième et dernier volet devrait examiner une banque. Que l’on pourra investir sans avoir besoin de porter raquettes et masques de Roger Federer.
Thierry Sartoretti/mh
Prochaines visites de "L’Age d’or" les 13 et 14 mai 2022. Inscriptions sur le site du Théâtre de Vidy-Lausanne.