"Paranoid Paul", une pièce à la mémoire du souffre-douleur

L'équipe de comédiennes et comédiens de la pièce "Paranoid Paul". [saintgervais.ch - Théâtre St-Gervais]
Les invités du 12h30 – Bastien Semenzato et Coline Bardin présentent la pièce ‘’Paranoid Paul’ / L'invité du 12h30 / 7 min. / le 25 avril 2022
Au Théâtre de Saint-Gervais de Genève jusqu'au 4 mai, puis au Spot de Sion le 7 mai, Bastien Semenzato met en scène une réunion d'ex-élèves dans "Paranoid Paul". On y rejoue, jusqu'à l'écœurement, une histoire de harcèlement devenue un traumatisme commun. Magistral et glaçant.

C'est un jeu. Nous l'avons peut-être toutes et tous pratiqué lors d'une de ces réunions d'ex-élèves. Imiter, rire des travers d'une prof ou d'un élève. C'est un jeu.

Et puis subitement, au détour d'un rire plus moqueur ou méchant qu'à l'ordinaire, ce n'est plus un jeu. C'est allé trop loin. C'est devenu de la cruauté, du harcèlement, le sadisme d'un groupe entier contre une personne qui n'a pas pu ou pas voulu rejoindre la norme générale. On ne rigole plus du tout. Le malaise est aussi poisseux que du bitume fondu. Malgré les blagues suivantes et les tentatives de relativiser, il ne nous lâchera plus.

Un cauchemar éveillé et un traumatisme

Dans "Paranoid Paul" d'après le texte de Simon Diard mis en en scène par Bastien Semenzato, iels sont six sur le plateau du théâtre Saint-Gervais. Cinq jeunes adultes apparemment bien dans leur peau plus une copine, fraîchement sortis du lycée et désormais dans la vie active. Les voici ensemble pour une drôle de réunion. Entre la thérapie de groupe et la teuf des ex-bacheliers. Iels sont cinq, mais devraient être sept. Il manque Gregg et Paul. Et l'on comprend très vite que ces deux absents sont au cœur de la réunion. Ces deux fantômes la hantent.

Le premier, Paul, a terrorisé des années durant le second, Gregg. Jusqu'au jour où tous les deux se sont littéralement évaporés. On comprend très vite que le club des cinq restants n'a pas pris parti pour le souffre-douleur, devenant ainsi complice du harceleur. Malgré la prise de conscience de ce passif, le groupe continue, encore et toujours, à se moquer de ce camarade un peu trop fragile, un peu trop bizarre. "Paranoid Paul" est un cauchemar éveillé qui ne veut pas partir. Un traumatisme bien décidé à taper l'incruste chez ces cinq-là, coupables et responsables d'un drame qui aujourd'hui les dépasse.

Une image du spectacle "Paranoid Paul". [DR - Dorothée Thébert Filliger]
Une image du spectacle "Paranoid Paul". [DR - Dorothée Thébert Filliger]

Psychologique et clownesque

Sur la scène de Saint-Gervais, à Genève, des cubes de bétons abritent frigidaire, boissons et chaises pliantes. On ne sait pas très bien où l'on se trouve. Ce pourrait être une garden-party ou un appartement loué pour la fin de semaine, peut-être la maison d'une copine prêtée pour cette réunion qui semble une sorte de rituel: le jeu de rôles du préau, du temps au Gregg massacrait Paul, de l'époque où Paul inventait toutes les excuses possibles pour ne plus aller à l'école. Les scènes mythiques sont rejouées, inlassablement, des scénarios sont fantasmés (ou pas?), notamment la vengeance terrible de la victime.

Également fraîchement sortis de l'école, en l'occurrence La Manufacture, Haute Ecole des arts de la scène de Suisse romande, les comédiennes et comédiens excellent dans ce jeu à la fois psychologique et clownesque. Une vraie bande de potes qui se vanne, saute d'un bout de chanson à l'imitation d'un accent, passe de l'éclat de rire à la colère vexée. Il y a là Coline Bardin, Davide Brancato, Estelle Bridet, Azelyne Cartigny, Antonin Noël et Georgia Rushton. Les cinq plus une copine au rôle de meneuse de jeu ou d'empêcheuse de tourner en rond.

A cette distribution électrique, on ajoutera le musicien Andrès Garcia habile compositeur d'une BO entre électro et variété française. "Je suis fragile", chante la bande en chœur. On ne sait plus s'il s'agit encore de se moquer de Paul ou de crier son propre mal-être. Edifiant et virtuose.

Thierry Sartoretti/ld

"Paranoid Paul", Théâtre de Saint-Gervais, Genève, jusqu'au 4 mai; Spot, Sion, le 7 mai.

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