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"Camper" où le théâtre du suicide au fond des bois

Visuel pour la pièce "Camper" au TLH de Sierre. [Cie You should meet my cousins form Tchernoby]
Camper / Vertigo / 6 min. / le 12 mai 2022
Entre science-fiction et horreur japonaise, "Camper" est un spectacle singulier de la compagnie valaisanne You Should Meet My Cousins From Tchernobyl à découvrir au TLH Sierre jusqu'à samedi.

Il fait nuit. Il y a des bruits indistincts, de la brume et des ombres étirées par les lampes frontales. Au milieu des sapins, une tente, un laboratoire de plein air, un sac de couchage et ces deux scientifiques un peu hagards dans leur routine de travail nocturne. Bienvenue dans "Camper". Vous qui entrez dans la forêt de Aokigahara, celle qu'on appelle aussi la "mer d'arbres", au pied du mont Fuji, apprêtez-vous à perdre tout espoir.

Initié par la compagnie valaisanne You Should Meet My Cousins From Tchernobyl (sic), "Camper" est une expérience sensorielle du mal-être, une sorte de "Blair Witch Project" sous champignons. Rappelez-vous ce film d'horreur à petit budget et grosses frayeurs. Filmé à l'épaule, passablement secoué, il ne montrait jamais rien et transformait le moindre bosquet en menace mortelle. Pièce de théâtre sylvestre, "Camper" ne bascule pas dans l'épouvante et le gore, mais déroute le spectateur en mélangeant les codes de l'horreur avec des réflexions existentialistes.

Un univers frappadingue

"Camper" se défriche avec une carte assez sommaire. Voici l'histoire: dans un rétro futurisme actuel, de mystérieux signaux électro-magnétiques brouillent téléviseurs et radios. Ils proviennent tous de la même forêt, quelque part au Japon. On y envoie dès lors des expéditions scientifiques. Toutes se perdent corps et âme au milieu de ces troncs, irrémédiablement gagnées par une mélancolie fatale. Pour se protéger des esprits qui règnent en ces lieux, le sel semble efficace. Mais pour combien de temps?

Dans "Camper", on croise des renardes portant masques et bottes blanches de super-héroïnes de mangas. On découvre un groupe anglais culte et fondu de science-fiction - Solid Space - qui n'avait enregistré qu'une unique cassette en 1982. On découvre surtout l'univers délicieusement perché d'Isumi Grichting, Christian Cordonnier, Julie Bugnard, flanqués de Théo Serez, Ana Carina, Simon Crettol et Maged El Sadek. On les cite toutes et tous, car il faut des chorégraphies, des costumes, de la lumière et une scénographie au poil (ou plutôt à l'aiguille) pour donner vie à l'univers frappadingue de ces Cousins et cousines de Tchernobyl.

La question du suicide

On conclura cette chronique par une précision: "Camper" aborde la question du suicide sans en faire l'apologie. Cette création théâtrale ne relève pas pour autant du documentaire ou de la prévention. Voici juste la mise en scène, dans un univers décalé, de l'amitié entre deux êtres humains et du mal-être qui les gagne petit à petit dans cette forêt hantée. Un objet étrange donc. Parfois aussi fragile que le mental de ces deux personnages sur le chemin du non-retour. A découvrir sans attentes particulières ou a priori sur le suicide.

Tout bientôt, les Cousins et cousines proposeront un autre spectacle intitulé "Monster Truck Killer", clin d'œil manifeste aux séries Z et autres films honteux réservés au marché de la VHS d'antan. Il est permis de se réjouir.

Thierry Sartoretti/ld

"Camper". A Sierre, TLH, jusqu’au 15 mai. Puis en janvier à Genève, Théâtre Saint-Gervais et au Spot de Sion. "Camper" est aussi un fanzine, proposé à la sortie du spectacle.

"Monster Truck Killer", Spot de Sion. du 26 mai au 5 juin 2022.

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