Fini l'éclipse de la pandémie, le Soleil règne à nouveau sur le cirque. Les chiffres donnent autant le tournis que des numéros de trapèze. Le Cirque du Soleil présente en effet vingt spectacles en même temps sur plusieurs continents, qu'ils soient fixes et en salle comme à Las Vegas ou Orlando, ou mobiles et sous chapiteau, comme ce "Luzia" qui se joue à Genève avant de divertir Zurich du 20 septembre au 23 octobre.
En 2020, le Cirque du Soleil était cliniquement mort. En 2022, il retrouve sa vitesse de croisière avec à nouveau près de 4000 collaboratrices et collaborateurs pour un chiffre d'affaires qui avoisinait le milliard de dollars juste avant le confinement général.
Mis en scène par le Tessinois Daniel Finzi Pasqua et la Québécoise Brigitte Poupard, écrit par la dramaturge Julie Hamelin Finzi, "Luzia" s'inspire du Mexique, lequel pays figure d'ailleurs parmi les soutiens du spectacle. "Luzia", contraction en espagnol des mots pluie et lumière, fait régner sur scène le déluge et le beau temps. Muy tropical, donc.
Avec un système d'arrosage sophistiqué (un pommeau de douche à 13'000 trous!) pour transformer la scène en jungle humide. L'eau est dans l'air du temps circassien. Sans doute inspiré par "Luzia" présenté la première fois en 2016, le cirque national Knie proposait lui aussi l'an passé des acrobaties sous la douche. Choc esthétique et érotique garanti, prise de risque accrue pour les artistes également.
Un show à l'américaine façon blockbuster
Qu'il s'agisse de "Luzia", "O", "Ovo" ou encore "Totem", la griffe du Soleil reste parfaitement reconnaissable dans ses diverses déclinaisons thématiques: un fil rouge narratif, un univers esthétique cohérent, une musique ad hoc, une scénographie spectaculaire avec force machinerie, des effets de groupe très chorégraphiés, un message global positif et une touche d'humour avec quelques numéros individuels. Bref un show à l'américaine, réglé au millimètre, où l'on admirera moins l'exploit du moment que l'ambiance générale, débordante et colorée.
Le Soleil est au cirque ce qu'un blockbuster d'action hollywoodien est au cinéma. Réalisée dans un laps de temps de deux à trois ans, chaque nouvelle production du Soleil sortie des ateliers de Montréal bénéficie d'un budget compris entre 20 et 30 millions de francs selon, notamment, l'importance de la machinerie et des effets spéciaux du spectacle.
Comment rentabiliser un tel investissement? En exploitant au maximum chaque spectacle. Selon les succès des uns ou des autres, cela peut durer de dix à vingt ans. Dans son développement, le Soleil a parfois connu des échecs en proposant une recette qui ne convenait par exemple pas au public américain. Ce fut ainsi le cas de "Paramour" du chorégraphe Philippe Decouflé, qui manqua son rendez-vous avec le public de Broadway et fut déprogrammé au bout d’une année déjà. Une exception tant les spectacles du Soleil sont calibrés pour plaire au plus grand nombre, de Buenos Aires à Stockholm.
Combien coûte cette venue à Genève?
Combien coûte (ou rapporte, c'est selon) la venue du grand chapiteau blanc du Soleil à Genève? Côté municipalité, les chiffres sont transparents. Le site de la Plaine de Plainpalais se loue pour un montant de dix centimes le mètre carré quotidien. Tarif appliqué au Soleil, de même qu'aux forains et aux autres cirques tels le Knie ou le Starlight. La location débute au premier jour du chantier (début mai déjà pour le Soleil) et s'achève le jour de la remise en état du terrain à son propriétaire, la Ville de Genève. Coût de location global: 130'000 francs.
Une somme très correcte pour un emplacement de spectacle de 15'000 m2 en plein centre-ville, au-dessus d'un parking et pourvu de toutes les commodités côté transports publics. A cela s’ajoute bien sûr l'apport économique de ce public venu de toute la Suisse romande et de la France voisine au centre-ville de Genève.
Au bout du Léman, c'est la société Live Music Production qui accueille et fournit la logistique locale nécessaire au Cirque du Soleil. Ce dernier débarque avec son propre matériel (2000 tonnes) et ses camions, actuellement à Barcelone où se jouait "Luzia".
20'000 fleurs sur un plateau
Dans leur sillage, quarante-quatre artistes et autant de techniciens, personnel administratif ou médical, logés à l'hôtel un mois durant auxquels vont s'ajouter temporairement cent cinquante ouvriers engagés à Genève pour le montage et le démontage de ce chantier. On ajoutera 1115 costumes et accessoires ainsi que 20'000 fleurs sur le plateau pour avoir une idée de la luxuriance de ce "Luzia".
Côté chiffres financiers, la communication est moins prolixe. Le budget de la venue du Soleil à Genève ne regarde que la société multinationale du fondateur Guy Laliberté et son partenaire genevois Michael Drieberg, patron de Live Music Production. En savoir plus relève donc de l'estimation, à la louche, avec sa marge d'erreur, en fonction du succès du spectacle exploité un mois durant sur la Plaine de Plainpalais.
La star, c'est le Soleil
Sortons notre calculette: le Soleil annonce un minimum de 39 représentations dans un chapiteau de 2000 places. Il y a pause lundi et mardi, mais double représentation durant les fins de semaine. Soyons prudents avec un taux de remplissage de 60% et un prix moyen de la place à 150 francs pour un tarif adulte: nous arrivons à plus de sept millions de chiffre d'affaires. Vont s'y ajouter les recettes des boissons, de la nourriture, des programmes et autres produits dérivés.
Selon une personne experte dans le domaine des concerts et autres shows, le coût d'exploitation d'un tel spectacle sur deux mois (montage et démontage compris) avoisinerait les quatre millions de francs. Par comparaison, un mega-concert en stade oscille entre cinq et six millions de budget avec un objectif de recettes à atteindre en une seule soirée.
Financièrement le Soleil est donc moins aléatoire que certaines pop stars. Maquillés et costumés, les artistes circassiens sont les héros presque anonymes de "Luiza". Car ici, la star ne s'appelle pas Céline ou Soprano, mais Le Soleil, l'une des plus grandes entreprises de divertissement au monde.
Thierry Sartoretti/ld
"Luzia", Plaine de Plainpalais, Genève, sous chapiteau, du 28 mai au 3 juillet 2022.