Chorégraphe du ballet, Joëlle Bouvier se souvient des débuts de ce projet ambitieux: "Philippe Cohen, le directeur du ballet, m’a proposé plusieurs œuvres. J’étais d’abord très tentée par 'Tosca', et en même temps je trouvais que le défi de travailler sur la musique de Wagner était intéressant. C’est une musique qui n’est pas dansante et en même temps qui peut être absolument bouleversante. Elle donne envie d’aller avec le corps, de se marier avec elle."
Un ballet qui va à l’essentiel
"Nous avons travaillé sur l’œuvre entière, uniquement sur l’opéra, avec les chanteurs que le public ne verra pas sur scène, et de la musique dont il ne connaîtra pas les paroles, à moins de parler allemand. J’y suis allée à l’instinct, en essayant de conserver des moments-clés du drame et la chronologie du spectacle. Peu importe que le public connaisse l’histoire dans les détails, il est question dans ce spectacle de grandes émotions, de grands moteurs faisant fonctionner les relations humaines", poursuit la chorégraphe interrogé par la RTS.
Je n’ai pas souhaité chorégraphier une danse narrative ou psychologique. Cette œuvre dansée appartient au monde du rêve et de la poésie.
Des passages soigneusement sélectionnés
L’œuvre originale de Wagner dure quatre heures, mais Joëlle Bouvier en a fait une sélection d’une heure et demie, en gardant les passages importants. "J’ai travaillé avec un conseiller en musique, Patrick Roudier, et Daniel Dollé, conseiller artistique et dramaturge connaissant bien Wagner et son écriture. J’ai aussi rencontré un amateur inconditionnel du compositeur qui m’a donné la piste de Mathilde Wesendonck, l’épouse du mécène de Wagner, dont il serait tombé amoureux. Cet amour impossible aurait inspiré l’opéra 'Tristan et Isolde'. Cela m’a beaucoup inspirée." Le poème "Wesendonck Lieder", écrit par Mathilde Wesendonck et mis en musique par Wagner, apparaît d'ailleurs dans le spectacle.
Pour comprendre l’œuvre originale et son texte, Joëlle Bouvier l’a écoutée aussi avec le livret. Au fur et à mesure, elle a compris l’importance du personnage d’Isolde. "Dans tout le premier acte, elle raconte pourquoi elle veut se venger, ce qu’il s’est passé avant, pourquoi la situation est telle qu’elle est. C’est ce que j’ai tenté de mettre dans le prélude. Tristan s’est battu, et il a été soigné par Isolde, qui est tombée amoureuse de lui en sachant qu’il était le meurtrier de son amoureux. Mais tout cela, le public n’a pas besoin de le connaître…"
Propos recueillis par Anya Leveillé
Adaptation web: Myriam Semaani
"Tristan & Isolde", Ballet du Grand Théâtre de Genève, du 25 au 29 mai 2022.
Deux danseuses ukrainiennes participent au spectacle
Deux danseuses, qui faisaient partie du ballet de l'Opéra national d'Ukraine et qui ont été poussées à l'exil par la guerre, ont intégré le spectacle "Tristan & Isolde" proposé par le Grand Théâtre de Genève.
"Nous devons continuer notre travail parce que nous en avons besoin, c’est notre antidépresseur. Nous pensons beaucoup à la guerre, et nous avons parfois besoin de nous évader. La danse est notre refuge", indique l'une d'elles, Krystyna Bykhovets.
"Humblement, j’essaie juste d’apporter ce que je connais avec la danse, comment construire un spectacle ensemble", indique pour sa part la chorégraphe Joëlle Bouvier.
Le Grand Théâtre s'est mobilisé dès le début de la guerre. Au total, l'institution a pris sous son aile six artistes ukrainiens.
" C'est le moindre que l'on peut faire comme théâtre avec la solidarité et la tragédie qui se passe dans ce pays. Permettre à ces personnes de continuer à exister comme artistes", estime quant à lui Aviel Cahn, directeur du Grand Théâtre de Genève.