On ne voit que ça. Affichée grand format dans les rues de Genève sous le logo du Festival de la Bâtie: sa bouche grande ouverte, une béance lui déformant tout le visage. Ruth Childs est une grimace formidable, belle comme une gargouille de cathédrale, saisie par l’objectif du photographe Gregory Batardon. Ruth Childs est danseuse, chorégraphe, mais là, sur cette affiche de son nouveau spectacle nommé "Blast!", elle n’est plus que le "Cri", la célèbre toile du peintre Edvard Munch. L’expression même de la terreur figeant un visage. Une bouche qui refuse de se fermer. Bloquée par l’effroi.
Sur scène, on retrouve cette même bouche immense au sommet d’un corps qui tourne en rond tel un derviche sur le rythme infernal d’une batterie. La pression est à son maximum avant que la danseuse s’effondre. Fin des tensions? Nenni. Elles quittent la tête pour se répandre dans tout le corps qui devient soubresaut, raideur, décharge électrique, alors que le souffle – ou plutôt l’essoufflement – de la danseuse, amplifié par un micro, devient à son tour une rythmique qui bat la chamade.
Exorciser la violence
"Depuis quelque temps, je ressens le besoin d’incarner la violence pour la transformer en quelque chose d’autre. Non pas ma violence propre, mais celle qui nous entoure, celle qui se poursuit à travers l’histoire de l’humanité, celle qui nous hante en image et par les récits, celle de notre imaginaire, de nos cauchemars", explique Ruth Childs. Vous voilà prévenus. "Blast!" n’est pas un spectacle zen, c’est un exorcisme. Voire par moment l’incarnation en live du film "L’Exorciste".
En anglais, 'blast', c’est notamment le souffle provoqué par une explosion. Songez aux films qui documentent l’explosion, le 4 août 2020, du port de Beyrouth. On y ressent, même sans le son, la force extraordinaire et destructrice de ce souffle.
"Blast!", le spectacle imaginé par Ruth Childs, émérite créatrice romande aux origines anglo-américaines, se nourrit de récits, de fictions, de contes, d’images d’actualité… pour dresser en une heure à peine une sorte de bestiaire de la violence. Il ne s’agit pas d’une mise en danger personnelle – Ruth Childs n’est pas Marina Abramović ou Angelica Liddell, ces performeuses qui vont jusqu’au sang et aux larmes – mais d’une sorte de mise en abyme: vous qui avez l’habitude de regarder continuellement de la violence sur vos écrans, regardez-la jouée par un corps bien vivant, juste là sous vos yeux.
A la performance dansée, s’ajoute un formidable travail sonore et visuel avec une complicité rare entre Ruth Childs, son créateur sonore Stéphane Vecchione et sa créatrice lumière Joana Oliveira. En dire plus serait divulgâcher les rebondissements d’une création qui ouvre de superbe manière cette rentrée romande des arts de la scène.
Thierry Sartoretti/aq
"Blast!", Genève, Festival de la Bâtie, salle de l’ADC du 27 au 31 août. Lausanne, Arsenic, du 21 au 25 septembre.
La 46e édition de la Bâtie-Festival met à l'honneur la création
La Bâtie-Festival de Genève se tient du 25 août au 11 septembre 2022 à Genève et dans le Grand Genève. Après deux années perturbées par la pandémie, cette 46e édition se tient sans contrainte sanitaire et marque donc un retour à la normal.
La manifestation propose durant 18 jours une programmation foisonnante de 59 événements entremêlant diverses disciplines (théâtre, danse, musique, cirque, performance…), qui se succéderont dans 45 lieux et institutions, pour un total de 132 représentations.
De nombreuses créations produites ou coproduites par le festival sont mises à l’honneur lors de cette édition.