"Si toute ma vie, je joue encore un squelette, ça va être de mieux en mieux. Parce que je vais aller de plus en plus vers la mort et à la fin, je n’aurai même plus besoin de me maquiller". Paroles ironiques de clown métaphysique. Et signature à la fois angoissée et drolatique de Martin Zimmermann, formidable traducteur de notre condition humaine à la silhouette élastique et émaciée.
Ces jours-ci, dans sa dernière création "Danse macabre", l’artiste zurichois arpente le plateau du théâtre de Carouge en claquant des dents, balai à la main, allant et venant, au milieu d’une décharge de papiers et de chiffons. La vie est un chaos et la Mort entend y mettre de l’ordre. Heureusement, les vivants se rebiffent.
La Mort est en nous
"Viens-tu troubler, avec ta puissante grimace, la fête de la Vie? Ou quelque vieux désir, éperonnant encore ta vivante carcasse, te pousse-t-il, crédule, au sabbat du Plaisir?" Question posée par le poète Charles Baudelaire dans ses "Fleurs du mal".
Réponse de Martin Zimmermann: la Mort est parmi nous. Elle est en nous. Elle mène le bal. Le Kapellmeister aux allures de Buster Keaton zombie porte son masque de craie et tente de mettre au pas ses trois complices maniant à la perfection tous les registres des arts circassiens: pitreries, acrobaties, danses, chant et musique. Du grand art. Ils et elles sont fantabuleux: Tarek Halaby, sa chevelure de diva orientale. Dimitri Jourde, sa bouille barbue et sa grâce d’otarie. Methinee Wongtrakoon et son aura de divinité au corps de lianes.
La vie et ses complications
Avec sa dramaturge et ex-psy Sabine Geistlich, ce clown aux allures de rock star gothique a l’art d’approfondir ses questionnements existentiels jusqu'au squelette. Pour Martin Zimmermann, grand lauréat des Arts de la scène suisse en 2021, le clown est l'incarnation de toutes les difficultés rencontrées par nous autres, pauvres mortels. C’est compliqué, le réel, c’est casse-gueule, la vie. Et les clowns sont là pour nous faire rire de nos angoisses et sublimer nos failles et nos ratages. Dans "Danse macabre", il est parfois impossible d’enfiler une chaussure, de s’asseoir sur une simple chaise ou de trouver son équilibre.
Dominant la décharge de "Danse macabre", une montagne se dresse avec à son sommet une cabane ouverte à tous les vents, prompte à basculer au moindre courant d’air et au moindre déplacement d’un poids. On peut y voir un hommage au film "La ruée vers l’or" de Charlie Chaplin. C’est aussi le symbole de notre précaire condition humaine tentant en permanence de trouver une stabilité dans ce monde qui ne l’est jamais.
Les danses du Moyen Âge
Bien sûr, il y a eu la crise du covid et son cortège de morts. Bien sûr, il y a le retour de la guerre en Europe et son lot de cadavres. La "Danse macabre" de Martin Zimmermann, voit cependant plus loin. Elle est l’héritière directe des danses macabres" du Moyen Âge que l’on peut admirer à Bâle ou à Lucerne. Citons le metteur en scène: "Et si la mort arrive, nous l’inviterons à danser, et si elle nous chiffonne alors nous nous chiffonnerons de joie, et si elle veut nous raidir, alors nous serons d’une souplesse infinie."
Cette "Danse macabre" est aussi, comme son nom l’indique, un spectacle de danse qui rappelle dans son grand final les dessins animés funèbres du cinéaste Tim Burton. Mentionnons aussi la musique de Colin Vallon. On connaît le pianiste pour ses albums de jazz. Là, il se surpasse dans un registre d’une rare puissance évocatrice.
Thierry Sartoretti/mh
"Danse macabre", Théâtre de Carouge (GE), jusqu'au 2 octobre; Bienne, Nebia, les 16 et 17 décembre; Bâle, Kultur Kaserne, du 8 au 10 décembre; Morges-Beausobre, les 1 et 2 mars 2023.