Les brillantes "Fourberies de Scapin" et de son complice Omar Porras

Scapin? Plus rusé qu’un renard. C’est Goupil fait homme. Pas étonnant qu’il arbore, sur le plateau du TKM de Renens, tignasse et moustache d’un roux flamboyant. Et pour incarner ce maître en fourberies, inventions et autres combines, il faut un cador de la scène, un acteur qui a du mors et du vif. Pour sa reprise de ce classique de Molière monté une première fois en 2009, le metteur en scène Omar Porras a trouvé son Scapin idéal: l’infatigable Laurent Natrella, au verbe délicieusement délié.

Ce Scapin est la vivacité incarnée. Et le comédien, ex-sociétaire de la Comédie-Française, excelle dans cet art de l’illusion (une autre fourberie) à nous faire croise que ses idées jaillissent spontanément et ne sont pas le fruit d’un texte pré-écrit et longuement répété. Quand il ne berne pas les fâcheux de la pièce, Scapin-Natrella prend encore le temps de cabotiner avec les premiers rangs du public immédiatement séduits par son regard brillant et la promesse de ses futures trouvailles. Bref, une réussite.

Scapin et sa bande

Scapin ne serait rien sans ses partenaires. A quoi bon berner s’il n’y a personne dans les parages. Là aussi, il est bien entouré par une troupe maniant aussi bien l’art du verbe que celui du mouvement. Dans ce type de comédie, envoyer sa réplique est aussi important que savoir chuter ou distribuer des bourres-pifs.

"Les fourberies de Scapin" sont en effet un divertissement pur. Une sorte de parenthèse récréative pour Molière dont les comédies ont été porteuses de nombreuses et parfois controversées critiques sociales ou politiques. Pensez à "Dom Juan" ou à "Tartuffe" qui valurent quelques haines au dramaturge et à sa troupe.

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Là, point besoin de chercher une insolence si ce n’est la vengeance du modeste contre plus puissant que lui. "Les fourberies de Scapin", pièce tardive du Sieur Molière (1671, soit deux ans avant sa mort) revient aux basiques de la comédie héritée des Italiens. Avec ses jeunes premières rêvant d’amour, ses soupirants un brin nigauds, des valets agités et surtout ses maîtres butés et acariâtres.

Quelques libertés avec le texte

Comment renouveler pareille comédie tellement jouée qu’elle menace de sentir la vieille perruque et le babil ronronnant? Outre le choix picobello des comédiennes et comédiens évoqués plus haut, l’habileté d’Omar Porras (encore une fourberie malicieuse) consiste à prendre quelques libertés avec le texte, le contexte et les sexes. Exit le deux barbons Argante et Géronte dont l’avarice et la cupidité contrarie les velléités amoureuses de leur enfant respectif. Ici Géronte est une femme, mégère et tyrannique interprétée par Olivia Dalric. Quant à Argante, le veule et vilain maître de Scapin, c’est une comédienne qui porte sa bedaine et sa moustache, la non moins excellente Peggy Diaz.

Les cartes des genres subtilement modifiées, Molière revisité par Porras peut se déployer dans un univers scénographique et rythmique qui tient autant de la comédie musicale façon "Chanteur de Mexico" que de la BD, du théâtre de boulevard ou du dessin animé à la Tex Avery avec force pétarades de revolver, chansons et cotillons. L’ambiance est la guinguette, dont les toilettes assurent leur lot de blagues potaches, délivrées par le reste de cette remarquable troupe, Alexandre Ethève, Caroline Fouilhoux, Pascal Hunziker et Marie-Evane Schallenberger auxquels s’ajoute l’équipe des techniciennes et techniciens de plateau, car au Théâtre Malandro tout le monde a sa part.

Une fourberie, c’est notamment, selon Monsieur Robert, "la disposition à tromper par des ruses, des artifices". Presque une définition de l’art de la mise en scène théâtrale. Ces "Fourberies de Scapin" millésime porrassien 2022 n’en manquent pas et c’est un régal.

Thierry Sartoretti/mh

"Les fourberies de Scapin", TKM, Renens, jusqu’au 23 octobre, puis du 13 au 23 décembre.

En tournée: Equilibre, Fribourg, le 6 décembre; Théâtre du Jura, Delémont, les 9 et 10 décembre.

"Les fourberies de Scapin" sont aussi à découvrir en captation audio dans l’émission "Molière à l’Oreille" sur RTS-La Première, le 13 novembre à 20h. A noter que cette mise en ondes bénéficie d’une spacialisation sonore, soit le nec plus ultra du confort auditif pour vous plonger au cœur du spectacle.