"Le Joker", votre meilleur cauchemar sur la scène du théâtre Nuithonie

Une ville la nuit. Des tours façon Manhattan ou plutôt Gotham City, fenêtres illuminées façon calendrier de l’avent et ombres portées par les façades. On distingue un incendie au loin et la rumeur de la circulation. Dans cet appartement accroché dans les hauteurs, rien ne va plus. C’est que maman est décédée, transformée en torche de flammes, suicidée, partie sans laisser la moindre explication. Son enterrement aura lieu demain.

Le fils répète en sanglotant un poème où se bousculent l’incompréhension, la tristesse et la rage. Sa copine écoute: "un peu trop pathétique, non?" L’empathie n’est pas son fort. Dès les premières minutes de cette histoire, quelque chose cloche dans l’atmosphère. Et voilà que maman passe la porte. Journaliste vedette de la télévision, maman est de retour à la maison. Son suicide? Parlons plutôt d’autre chose ou mieux encore, ne parlons pas. Tout à son chagrin, fiston ne remarque pas cette chevelure pleine de poussière, ce tailleur brûlé, cisaillé et ces jambes tachées par la putréfaction. Maman s’installe sur le canapé, allume la télévision: on diffuse un film de zombies.

Et papa? Il a subitement changé de métier. Hier encore, il était comptable. Cette nuit, le voici policier, patrouillant les rues avec son revolver, sa matraque et son ivresse. Quelque chose ne tourne décidément pas rond. On ne devient pas policier du jour au lendemain. On ne revient pas de la mort comme d’une course au supermarché. La rumeur devient bruit, menace. Elle angoisse. Cher public, bienvenue dans "Le Joker".

Broyer du noir et rire jaune

"Le Joker", c’est une pièce qui broie du noir et dans laquelle on rit jaune. Jaune comme le halo d’une vieille ampoule au fond d’un passage souterrain peu engageant. Un objet singulier, nocturne, pluvieux, où le temps semble bégayer et s’enrayer. Quatre personnages tanguent dans une espèce de vortex dystopique où la pendule avance et recule en même temps. Théâtre d’épouvante? Comédie dystopique? Récit sous hallucinogène? Il y a de tout ça dans ce "Joker" signé Larry Tremblay, auteur québécois que le metteur en scène Julien Schmutz apprécie tout particulièrement, louant ce texte dont les pièges temporels peuvent rappeler le film de science-fiction dystopique "Inception".

"Le Joker", c’est aussi un personnage – toute ressemblance avec celui de Batman n’étant pas forcément fortuite – à la fois ami imaginaire et mauvaise conscience des personnages. Cette âme damnée pousse au crime, brouille les cartes mémoires et annonce un chaos à venir. Il est question d’une imminente invasion. Laquelle? Imaginez votre meilleur cauchemar car le Joker reste énigmatique et préfère ricaner que de répondre.

Réussite délicieusement parano, "Le Joker" aligne une belle distribution sous l’égide de la Compagnie fribourgeoise du Magnifique Théâtre. Avec Amélie Chérubin-Soulières et Michel Lavoie dans le rôle des parents. Jonas Marmy et Clea Eden dans celui des jeunes amoureux paumés. Et enfin Vincent Rime pour personnifier ce Joker que le public aperçoit, mais qui reste invisible aux yeux des protagonistes de ce spectacle à nul autre pareil. Un OVNI (ouvrage vivant non identifié) vivement recommandé pour expurger le temps d’un spectacle nos craintes face à tous les désordres du monde actuel.

Thierry Sartoretti/ld

"Le Joker" à voir à Nuithonie, Villars-sur-Glâne, jusqu'au 13 novembre.