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"Vers l’oiseau vert", tendre hommage au théâtre de Benno Besson

Une image du spectacle "Vers l'oiseau vert", du collectif BPM. [La Comédie - Anouk Schneider]
Vers lʹOiseau vert / Vertigo / 7 min. / le 11 novembre 2022
A la Comédie de Genève jusqu’au 20 novembre puis en tournée, le trio BPM composé de Catherine Büchi, Lea Pohlhammer et Pierre Mifsud revisite en mode émerveillé un mythe du théâtre romand: "L’oiseau vert" créé par Benno Besson il y a quarante ans.

Le spectacle n’a pas encore commencé. Face au brouhaha de la salle, une immense toile peinte. Elle représente l’ancienne Comédie de Genève, reconnaissable à son arche enjambant la scène et ses échafaudages anachroniques. Le contraste amuse, ici, à la Nouvelle Comédie, son public bien calé dans les fauteuils, pleine vue sur cette nouvelle création "Vers l’Oiseau vert", avec des pensées nostalgiques pour l’ancien théâtre. Chaque siège y était pourtant un casse-cul, l’acoustique un abonné absent et la vue une variable aléatoire. C’était là, dans ce vieux théâtre au plancher couineur que fut créé un mythe: "L’Oiseau vert" de Carlo Gozzi, mise en scène par Benno Besson. Il y a pile quarante ans, en 1982.

Un collectif romand

Trois voix cherchent leur chemin en coulisses. On les entend, on ne les voit pas encore. Catherine Büchi, Lea Pohlhammer et Pierre Mifsud, soit le Collectif BPM, malicieuse compagnie romande. Avec ce trio moitié Funès moitié Pieds Nickelés, nous célébrons un double anniversaire, les quarante ans déjà cités du volatile et les cent ans de son auteur Benno Besson. Un mythe aussi, celui-là: né à Yverdon, complice de Bertold Brecht, sa carrière va de la Suisse à Berlin en passant par la France et cette parenthèse à Genève, dont il a dirigé l’ancienne Comédie de 1982 à 1989.

Voici enfin le trio en pleine lumière, sapé en fruits géants, pomme, orange et cédrat, comme des enfants sortis d’un album illustré d’Albertine prêts à nous réciter leur fable ou leur poème. Le ton est donné: "Vers l’Oiseau vert" est un spectacle en hommage à un autre spectacle. Et si nostalgie il y a, elle arbore un sourire large et acidulé comme un cédrat: "Tu te rends compte, à la première de 'L’oiseau vert', il y a eu dix-sept minutes d’applaudissement!", rappelle Lea Pohlhammer, qui a vu la pièce à sa prime enfance. Un mythe cet oiseau, on vous l’a déjà dit.

"Vers l'Oiseau vert", un spectacle du Collectif BPM. [Anouk Schneider]
"Vers l'Oiseau vert", un spectacle du Collectif BPM. [Anouk Schneider]

Un conte revisité

Remake ou reconstitution ce "Vers l’Oiseau vert"? Surtout pas et c’est tant mieux. Le théâtre est un art vivant. Il doit bouger puis disparaître dans les limbes, se contenter d’imprimer de manière plus ou moins floue nos mémoires. Transformez-le en pièce de musée, façon statue grecque ou toile de maître et le voici mort.

Alors, c’est quoi ce "Vers l’oiseau vert"? Une sorte de visite guidée dans une œuvre tout en nous racontant l’histoire. Voici que défilent la méchante grand-maman, son fils le roi nigaud, le ministre ridicule, la maman coincée sous l’évier depuis des lustres, les enfants vénaux, les parents adoptifs hypocrites, la statue magique, bref toute la galerie des personnages du conte de "L'Oiseau vert", chacun de ces rôles étant interprété par le trio qui doit mener en coulisses un sacré tempo de changement de costumes. En même temps, la triplette Büchi-Pohlhammer-Mifsud tombe régulièrement le masque pour nous raconter anecdotes, impressions et surtout émerveillement face à ce théâtre surgi du passé. C’est tendre, drôle et ça joue, dans tous les sens de ce terme.

De "L’oiseau vert" d’origine, on attrape de nombreuses citations: décor impressionnant (avec ses toiles, ses cavernes et ses palais merveilleux), masques chers à Benno Besson naguère signés Werner Strub et aujourd’hui revisités par Fredy Porras, costumes féériques et même certaines répliques. "L’Oiseau vert" est un conte italien de 1765. Une histoire de roi, de maman possessive, d'enfants abandonnés, d’ogres et de prince ensorcelé. Son auteur Carlo Gozzi l’avait brodé à partir de contes plus anciens, dont "Les trois oranges". En 1982, Benno Besson le réécrit à son tour, rajoute des scènes et donne à l’affaire un tour plus politique et marxiste. L’homme n’était pas compagnon de Brecht pour rien. Un conte amusant oui, mais pas juste pour amuser la galerie. Aujourd'hui, le Collectif BPM y ajoute le deuxième degré et cette ironie bienveillante qui les caractérise.

"Vers l'Oiseau vert", un spectacle du Collectif BPM. [Anouk Schneider]
"Vers l'Oiseau vert", un spectacle du Collectif BPM. [Anouk Schneider]

Un art repensé

Réuni une première fois à l’occasion d’un spectacle de François Gremaud, le collectif romand s’est ensuite fait connaître en Suisse et en France avec "La collection", une série d’hommages hilarants à des objets désuets: téléphone à cadran, vélomoteur, service à asperge… Pas étonnant dès lors de les retrouver dans cet hommage. Il a beau relever du mythe, avoir marqué les esprits de l'époque et placé la Comédie sur la carte des théâtres européens qui comptent, ce spectacle millésimé 1982 est lui aussi un objet vintage, voire… désuet.

Du théâtre comme ça, avec son décor monumental et sa ronde infernale de costumes chamarrés, on n'en fait plus. Dans ses dernières créations, BPM nous raconte le monde avec… trois chaises: l’imaginaire des spectateurs fait le reste. En citant et recréant la pompe et la magnificence de "L’Oiseau vert", "Vers l’oiseau vert" est aussi l’aveu d’une fascination pour un artisanat de l’illusion et du merveilleux. Un art perdu? Plutôt repensé et sans cesse renouvelé.

Thierry Sartoretti/ms

"Vers l'oiseau vert", Comédie, Genève, jusqu’au 20 novembre; Théâtre Benno Besson, Yverdon, les 24 et 25 novembre; Equilibre, Fribourg, le 30 et le 1er décembre; Nebia, Bienne, le 4 décembre.

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