Deux compères. Plutôt clochards que richards, Estragon et Vladimir, alias Gogo et Didi pour les intimes. Ils attendent Godot au pied d’un arbre famélique. Hier, ils étaient déjà là: il n’est pas venu. Viendra-t-il ce soir? On devine la question sans réponse depuis un nombre conséquent de soirées à battre la semelle sur cette route de campagne.
Avec ce premier paragraphe, vous savez la moitié de l’action de "En attendant Godot". La suite, c’est l’arrivée de deux autres hurluberlus, Pozzo et Lucky. Le premier dirige le second avec une corde. Le second porte les bagages du premier et semble aussi idiot qu’épuisé. Etrange attelage entre un maître et son esclave, un tortionnaire et son souffre-douleur. En chemin, auraient-ils croisé Godot? Non, bien sûr. Finalement, c’est un gosse qui viendra donner quelques nouvelles: Monsieur Godot tentera de passer. Demain, peut-être. Il ne reste plus qu'à continuer d’attendre.
Revenir demain
A propos d’attente, la liste est longue au Théâtre de Carouge jusqu’au 29 janvier. "En attendant Godot" affiche complet. Si vous n’avez pas de billets, revenez demain. Ou alors après-demain?
Et dire qu’à sa création parisienne en 1953, "En attendant Godot" a fait scandale. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le public espérait peut-être de l’optimisme ou une morale positiviste. Samuel Beckett lui livra cette pièce où l’espoir se pare du ridicule, la cruauté défile avec le masque du clown, le héros a les oripeaux du clochard ivrogne et l’action se résume à ça: attendre. Attendre encore. Qui sait ce que demain nous réserve?
Pièce classique et moderne
A Carouge, "En attendant Godot", classique moderne intouchable (la fondation Beckett veille au grain sur toute tentative de retoucher le chef-d'oeuvre), se pare des teintes corbeaux du scénographe Jacques Gabel. Orfèvre des textes, le metteur en scène français Alain Françon s’entoure d’une équipe de fidèles comédiens: Gilles Privat, André Marcon, Guillaume Lévêque, Eric Berger, auxquels s’ajoute Antoine Heuillet, dans le rôle de l’enfant-messager, l’air d’un Tadzio sorti de "Mort à Venise".
La fin, toute la salle la connaît déjà. "En attendant Godot" est un classique et certaines de ses répliques cultes. Ainsi la première phrase, annonciatrice de toute l’affaire: - "Rien à faire." L’essentiel est ailleurs. Dans les dialogues de Didi et Gogo, philosophes des fossés et des ventres creux. Dans ce bonheur et ce malheur qui caractérisent l’espèce humaine: se poser des questions existentielles et tenter de percer l’avenir.
Thierry Sartoretti/mh
"En attendant Godot", Théâtre de Carouge, jusqu'au 29 janvier 2023.