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"Vielleicht" de Cédric Djedje, une histoire africaine à Berlin

Cédric Djedje dans "Vielleicht". [Théâtre de Vidy-Lausanne - Dorothée Thébert Filliger]
Vielleicht / Vertigo / 5 min. / le 27 février 2023
A Vidy-Lausanne jusqu'au 11 mars, le comédien Cédric Djedje se plonge dans le quartier africain de Berlin avec le spectacle "Vielleicht", entre théâtre documentaire et journal intime. Un bout d’histoire coloniale et des noms de rues qui posent bien des questions. Passionnant.

Un bout d’Afrique entre les parcs Goethe et Schiller. Vue du ciel, ce bout de Berlin, sis dans l’arrondissement de Wedding évoque un peu le grand continent. L'Afrikanisches Viertel est un fantôme de l’histoire coloniale allemande. Ici les rues s’appellent Togo, Zanzibar, Congo ou Guinée. On y trouve aussi un resto nommé "Bantou Village", un brin kitsch au milieu de cette Kameruner Strasse pavée qui ressemble n’importe quelle rue populaire de la capitale allemande.

Six mois durant, le comédien genevois Cédric Djedje y a vécu, bénéficiaire d’une résidence culturelle de son canton d’adoption. Il faut préciser à ce stade que Cédric Djedje est également d’origine française avec des racines ivoiriennes. Si fait qu’il passe pour parfaitement "authentique" lorsqu’il pousse la porte du "Bantou Village" où la notion d’africanité est un sacré mischmasch.

Remuer un passé colonial

Il y a des baptêmes ces derniers temps dans le quartier africain. Des baptêmes de rues, de places et d’allées. Exit les patronymes de colons germaniques ou de génocidaires à casquette prussienne. Place à la famille Manga Bell, à la révolte Maji Maji ou à feu la ressortissante héréro Anna Mugunda. Au moins, désormais, ce bout d’Afrique portera aussi la mémoire des vrais Africaines et Africains, pas uniquement de leurs envahisseurs.

Cédric Djedje est parti à Berlin précisément pour vivre, documenter et participer à ces changements. Changer la plaque en émail d’une place, ça peut vous paraître insignifiant au regard de toutes les problématiques politiques et sociales que peut connaître un quartier populaire berlinois. N’empêche que sur place, l’affaire a fait pas mal de remous, suscité des hostilités, provoqué des polémiques. Remuer un passé colonial, ça agite les consciences.

Le comédien n’en est pas à sa première réflexion sur les patronymes des rues et ce qu’ils nous cachent où nous révèlent. Présentée en 2013 au Théâtre de Saint-Gervais, la pièce "Un après-midi au zoo" nous rappelait qu’à Genève, une des attractions de l’exposition nationale de 1896 était un zoo humain. On pouvait voir du côté de l’actuel Boulevard Carl-Vogt des Africains parqués dans un soit-disant village modèle. Tiens, ce même Carl-Vogt pensait aussi que les noirs étaient un chaînon manquant entre les singes et les blancs européens … mais revenons à Berlin.

Entre documentaire et journal intime

Dans cet Afrikanisches Viertel, Cédric Djedje ne sait plus trop qui il est au juste: Suisse? Français? A jamais Ivoirien? Tout à la fois? Sa mère a le mot juste: "Toi, tu es hors zone". Depuis Berlin, le comédien entretient une correspondance avec une comédienne romande qui connaît bien ses questionnements, la Valaisanne Safi Martin Yé qui a consacré récemment un vibrant hommage à Joséphine Baker. Les dramaturges Noémi Michel et Ludovic Chazaud se joignent à la discussion.

Et c’est ainsi, à force d’aller-retour entre Genève et Berlin et d’interviews d’habitants du quartier africain, que naît "Vielleicht " ("Peut-être"), un spectacle de théâtre entre le documentaire, le carnet de recherche et l’intime. On y apprend un pan d’histoire, on y voyage, on y rit parfois et on y apprend un peu plus sur notre identité. Que l’on ait la peau noire ou pas.

Thierry Sartoretti/aq

"Vielleicht", de Cédrid Djedje, Vidy-Lausanne, jusqu'au 11 mars.

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