Vous connaissez l’histoire du petit lapin dans le jardin? Ce n’est pas une blague. Cela s’est régulièrement passé dans la propriété de l'acteur Errol Flynn, du côté de Mulholland Drive, sur les hauteurs de Los Angeles.
Le playboy à moustache avait inventé un jeu pour pimenter ses sauteries. Une jeune femme revêt un costume de lapin. Les invités masculins d’Errol lui courent après, chacun portant un numéro sur le dos. Le vainqueur peut s’offrir le petit lapin, qui reçoit en compensation un manteau de fourrure. Un soir, c’est la débutante Marilyn Monroe qui s’est retrouvée seins nus dans la tenue de bunny. La préhistoire de #MeToo.
Ce même soir, chez Errol, on trouve aussi une prestigieuse invitée. Hedy Lamarr est alors au faîte de sa gloire hollywoodienne, auréolée de son dernier - ultime - triomphe dans le péplum "Samson et Dalila", sorti en 1949. Hedy Lamarr, c’est l’incarnation du glamour, de la diva sophistiquée à la chevelure brune. Bientôt, elle ne sera plus à la mode, jugée trop âgée, trop capricieuse, boudée par Hollywood comme Garbo ou Crawford avant elle. Remplacée par une nouvelle génération de blondes considérées plus sexy, Marilyn Monroe en tête.
La rencontre entre deux reines hollywoodiennes
Lamarr et Monroe se sont croisées chez Errol. Et si elles s’étaient revues? En toute discrétion, des années plus tard. Précisément le 3 août 1962, la veille du suicide de Marilyn Monroe. L’auteur catalan Carles Batlle imagine une ultime réunion entre la star déchue et l’étoile qui n’en peut plus. Cette rencontre fantasmée a lieu tous les soirs sur la scène du Théatre de Poche, à Genève. Elle s’appelle "Still Life (Monroe-Lamarr)" et c’est un bel hommage.
La comédienne Valeria Bertolotto porte la perruque brune de Lamarr et sa consœur Jeanne De Mont arbore le grain de beauté et les mèches blondes de Monroe. Deux chevaliers servants, Djemi Pittet et Léonard Bertholet, leurs donnent parfois la réplique. A la mise en scène de cette rencontre au cœur des légendes hollywoodiennes, Anne Bisang, régulièrement au service de figures féminines marquantes. Prisonnières des clichés hollywoodiens et de leur beauté, Hedy Lamarr et Marilyn Monroe valent tellement plus que leur façade glamour.
Au-delà des clichés
Prenez Lamarr, inventrice en pleine Seconde Guerre mondiale d’un système de guidage crypté pour les torpilles, système inspiré par une oeuvre de musique contemporaine. Difficile à croire, n’est-ce pas? Comme si une belle femme ne pouvait pas comprendre le solfège et émettre une réflexion scientifique. L’actrice est à l’origine d’inventions telles que le GPS et le wifi. Hedy Lamarr, née Hedwige Kiesler à Vienne, avait le caractère bien trempé d’une comédienne juive austro-hongroise qui avait croisé de près Hitler et fui un premier mari abuseur et marchand de canons.
Prenez Marilyn, grande lectrice, férue de peinture, compagne de l’écrivain Arthur Miller et trop souvent réduite à son personnage de ravissante ingénue, voire d’idiote en raison de calamiteux doublages de sa voix en français.
Dans "Still Life", ces deux femmes se rencontrent, partagent leur force, leur expérience, leurs blessures et leur fragilité. Et nous, public, au sortir de cette heure d’échange, on a juste envie de revoir leurs films, en particulier "The Misfits" ("Les Désaxés") de John Huston et "H.M. Pulham, Esq." ("Souvenirs") de King Vidor. Puis de se plonger dans leur biographie. Marilyn Monroe, Hedy Lamarr, bien vivantes grâce au théâtre.
Thierry Sartoretti/ms
"Still Life", théâtre Le Poche, Genève, jusqu'au 12 mars 2023.