Deux perles d'ironie et d'humour aux Journées du Théâtre Suisse à Fribourg

Barbante la politique suisse? Celle ou celui qui a dit cela n'a pas vu la pièce de théâtre "EWS". EWS comme Eveline Widmer-Schlumpf: la politicienne des Grisons et surtout le pire cauchemar d'un certain Christoph Blocher.

En 2007, son élection inattendue au Conseil fédéral rime avec la chute du tribun populiste de l'UDC. On a parlé d'un complot, crié au putsch. Elle a reçu des insultes, des menaces de mort. On a tenté de la faire démissionner, accusée de trahison à son parti l'UDC. Elle a aussi bénéficié, événement rarissime, d'une manifestation de soutien des femmes suisse sur la Place fédérale. Bref, l'histoire d'EWS, c'est du chaud bouillant, la matière idéale pour une pièce de théâtre.

"EWS", un OVNI théâtral

Sur la scène défilent dix sosies d'EWS. Costume gris souris, le non-look absolu. Une remarque fuse, balancée dans un savoureux dialecte. "Elle ne boit pas d'alcool. Elle est aussi sèche qu'un biscuit de Noël gardé pour Pâques". Pour sûr, "EWS" la pièce n'est pas une hagiographie, un portrait enamouré de fan. Concoctée au théâtre zurichois Neumarkt par le duo Piet Baumgartner et Julia Reichert, "EWS" est un OVNI. Tout comme son sujet. On n'en revient toujours pas de cette élection à rebours de toutes les habitudes.

"EWS" la pièce, le politthriller comme on dit en bon suisse allemand, est haletante, drôle, vive, caustique et réglée comme un ballet avec ces Eveline qui passent et repassent cet instant rare de l'histoire suisse: une femme damne le pion à un homme dans la course au pouvoir. Ok, c'était avec de l'aide en coulisse, mais tout de même.

Le Théâtre Neumarkt avait déjà été à l'origine de l'un des grands tubes du théâtre alémanique: le "Top Dogs" d'Urs Widmer, portrait acide du monde du management. "EWS" est de la même trempe. Jouée au Neumarkt par la troupe du théâtre, cette production ne tourne en principe jamais. La représentation du 1er juin à Nuithonie est donc exceptionnelle. Ne la manquez pas, en plus, elle est donnée avec des sous-titres.

"The Game of Nibelungen", un régal confédéral

Même agglomération, Fribourg, autre lieu. Au Cycle d'orientation du Belluard, on donne un cours d'allemand du 1er au 3 juin. "Normal", direz-vous. Sauf qu'il s'agit d'un cours d'allemand délicieusement déjanté. Laura Gambarini, émérite comédienne neuchâteloise venue du spectacle de rue et du théâtre d'objets, a concocté avec Manu Moser une histoire revisitée des Nibelungen, cet équivalent germanique (par l'importance) de la légende des chevaliers de la Table ronde, devenue, grâce à Richard Wagner l'immense "Ring", qui lui-même inspira un certain "Seigneur des Anneaux"…

Professeure Zinzin, Laura Gambarini raconte son affaire avec force objets, démonstrations toniques et massacres de tubes et autres récipients. Oui, c'est en allemand, mais pas besoin de le savoir pour suivre cette histoire dans une franche rigolade. "The Game of Nibelungen" a déjà cartonné dans les classes romandes ainsi qu'au Festival d'Avignon. Le voici à nouveau en tournée à destination d'un public plus large. Mieux, il s'exporte désormais en Allemagne, patrie des Nibelungen, où l'on apprécie cette manière d'allemand destiné à des non-germanophones.

Dans ce délicieux paradoxe linguistique, malgré son titre anglais, "The Game of Nibelungen" est sans doute l'un des spectacles les plus suisses et les plus confédéraux de la sélection de spectacles proposée par les Journées du Théâtre suisse. Un régal.

Thierry Sartoretti/ld

Les Journées du Théâtre Suisse à découvri dans le canton de Fribourg du 31 mai au 4 juin 2023.