A Vidy-Lausanne, le "Spectacle de merde" de Marion Duval et une occupation

"Vous pouvez partir à tout moment, mais attention! Lorsque vous quittez le gradin, restez bien sur les côtés, ça peut être dangereux". Mise en garde de la metteuse en scène Marion Duval. De quoi parle-t-elle?  Sur la pelouse brûlée par le soleil du Théâtre de Vidy-Lausanne, quatre véhicules débarquent à coup de klaxons. Ils se livrent à une sorte de ballet.

Imaginez les chevaux du Knie, remplacez-les par des vieux camping-cars, des camions hors d’âge et vous avez le tableau. Le danger, ça peut aussi être un objet qui tombe, un truc qui s'envole, un protagoniste qui s’agite ou une mobylette à fond les gaz. Côté gradin, on ne risque rien. Sur le pré, transformé en piste, c’est une autre paire de manche.

Une galerie de personnages improbables

Alors théâtre ou cirque, cet incroyablement nommé "Le spectacle de merde" (sic), dernière création de la Compagnie Chris Cadillac? Les deux à la fois et plus si entente. Voici que débarque à vos pieds un improbable festival des arts de la rue, doublé d’un technival, d’une caravane de punks à chien et d’une pièce de théâtre. Au menu, des numéros de cabaret rock’n’roll, du karaoké, du feu, du jonglage, de la poésie, des confessions trash, de l’impro hardcore, de la danse de ballerine, des harangues politiques…

Sur la piste, voici Benoît 13 l’anti-pape de Tarbes, Vince du 12 la terreur des magasins, La Joie qui rêve de stand-up, Petit Tonnerre mi-Zorro mi-Flamenco qui casse des noix, Karine qui déchire tout, La Cé qui perd le fil et le rattrape, Papi qui vend ses poèmes à la pièce, Michael Jackson et ses gants blancs, AzuXenia qui crache le feu. Une bande de zinzins bruts de décoffrage, des personnages singuliers, forts en gueule, parfois à côté de la plaque, borderline, drôles, flippants, révoltés, pathétiques aussi, à la marge assurément, touchants, incernables, souvent une canette de bière à la main, toujours prompts à vous offrir le meilleur spectacle de leur vie.

"Le spectacle de merde", c’est une communauté improbable réunie le temps d’une création qui explose les codes. Il remue, touche et trouble, rappelle l’ambiance de deux films qui ratissaient les marges et titillaient les limites: "Les idiots" du Danois Lars Von Trier et "Gummo" de l’Américain Harmony Korine. Oubliez vos repères, lâchez prise. Et si l’expérience vous hérisse le poil, n’oubliez pas longer les gradins avec prudence.

Lauréat du Label+ romand

Réalité et fiction sont ici brouillés. On peut même parler de friction chez ces super-héros jaillis de l’underground. Au fil de ses créations, "Cécile", "Las Vanitas" ou "Clap Trap", la comédienne et metteuse en scène Marion Duval possède un goût pour le clown grinçant, les projets communautaires, les costumes délirants et des scénographies qui se transforment en tempête, en monstre ou en scène de cinéma. Dans "Le spectacle de merde", les camions révèlent des surprises et le final tient du défilé de mode abracadabrantesque.

Ce spectacle est l’un des lauréats du Label+ romand, avec ceux des chorégraphes La Ribot et Yasmine Hugonnet. Cela signifie un budget plus conséquent qu'à l’habitude (150'000 fr. en moyenne) avec des aides à la diffusion et une visibilité accrue. Une belle reconnaissance pour le travail singulier de Marion Duval. Laquelle conclut avec son ironie habituelle que "ce spectacle de merde" lui permet aussi de redistribuer de l'argent à celles et ceux qui sont hors du circuit auquel elle a accès.

Une occupation dans la cour du théâtre

A noter que les problématiques sociales viennent de rattraper le théâtre. Lundi, un collectif d’activistes en faveur des sans-abris a posé baluchons, tracts et gazinières dans la cour du théâtre. Une cinquantaine de militants comptaient accueillir dès le soir-même jusqu'à une quarantaine de sans-abris dans le foyer principal où des lits avaient été installés. Après des négociations avec la police et la direction du théâtre, le collectif a libéré les locaux en soirée. La Ville et le théâtre ont accepté qu'un espace soit maintenu en extérieur jusqu'à ce week-end, destiné au dialogue et à la sensibilisation.

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Thierry Sartoretti/aq

"Le spectacle de merde", Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu’au 24 juin 2023. Puis Nebia, Bienne, le 2 septembre; Le Pommier, Neuchâtel, les 8 et 9 septembre; Festival de la Bâtie, Genève, du 13 au 16 septembre 2023. Le spectacle se joue en plein air.