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"Une bonne histoire", un récit glaçant d'espionnage au Festival de la Cité

Une image du spectacle "Une Bonne Histoire" signé Adina Secretan. [DR - Sylvain Chabloz]
Vertigo en direct du Festival de la Cité / Vertigo / 28 min. / le 5 juillet 2023
Signé Adina Secretan, "Une bonne histoire" raconte l'infiltration d'un groupe de militants altermondialistes par une taupe. Quand la réalité se joue de la fiction. Un formidable spectacle de théâtre à voir au Festival de la Cité à Lausanne ce jeudi et vendredi.

D'abord, on se pince. Non, on ne rêve pas: ce récit n'est pas une fiction, mais la réalité. Ce spectacle signé Adina Secretan recueille des propos réellement tenus, des situations réellement vécues, des faits corroborés par des articles de journaux, une émission "Temps Présent" de la RTS, un procès et deux livres publiés. Bref, "Une bonne histoire" aurait pu tout aussi bien s'appeler "Une histoire vraie". N'empêche, on se pince quand même, tant cette affaire est incroyable.

Là, sur scène, deux comédiennes  - Joëlle Fontannaz et Claire Forclaz - jouent dans un petit castelet. Les costumes, identiques, sont roses. Il y a des néons colorés et l'atmosphère est plutôt joyeuse, un brin décalée, oscillant entre le théâtre Guignol et le récit glaçant d'une affaire d'espionnage qui a mal tourné.

Rappel des faits

Nous sommes en 2003. Des militantes et militants altermondialistes préparent un livre sur les activités de la multinationale Nestlé. Il s'agit de compiler des faits publics, rassembler des informations éparses et livrer un ouvrage pour protester contre les activités et méthodes de cette entreprise, en particulier dans les pays producteurs de denrées essentielles pour Nestlé, qu'il s'agisse de café ou de fèves de cacao. Ce livre existe, il s'appelle "Attac contre l'empire Nestlé", paru en 2004 aux éditions Attac Vaud. Là où cela se corse, c'est que l'une des autrices de ce livre n'existe pas. Ou plutôt, n'était pas celle qu'elle prétendait être.

Près de deux ans durant, Sara Meylan, étudiante neuchâteloise, participe aux discussions de cette petite antenne lausannoise de militants altermondialistes. Elle note les PV et rédige un des chapitres du livre, se lie d'amitié avec le groupe. Puis disparaît. Sara Meylan était en fait une taupe, une espionne, salariée par la société Securitas au bénéfice de la multinationale Nestlé. Qui était-elle vraiment? Nul ne le sait.

Seule certitude, toutes les activités, tous les contacts, de ce petit groupe de militants ont été fidèlement transmis au chef de "Sara", cette dernière recevant une bonification de six francs de l'heure pour ce travail particulier. Un livre d'enquête documente cette affaire. Il s'appelle "Affaire classée: Attac, Securitas, Nestlé". Signé Alex Feuz, il est paru aux éditions d'En Bas en 2009.

Sara Meylan n'était pas la seule à mener une double vie. Un autre nom est apparu: Shanti Müller, fausse militante un peu hippie et participante active à de nombreux collectifs entre Genève et Lausanne au milieu des années 2000. Elle aussi va disparaître une fois sa mission d'espionnage accomplie.

>> A lire aussi : La justice vaudoise condamne Nestlé et Securitas dans l'affaire Attac

Polar helvétique

Racontée comme cela, "Une bonne histoire" pourrait être une sorte de polar helvétique sur fond de luttes politiques. Cette affaire Meylan-Müller est aussi un formidable révélateur de ce que peut être le théâtre. Cédons la parole à Adina Secretan, metteuse en scène et dramaturge: "Une performance secrète aura ainsi été proposée par deux entreprises privées, où les arts du spectacle, de la fiction et du jeu opèrent directement sur le réel (…). Sara n'a-t-elle pas, d'une certaine manière, délivré la meilleure performance théâtrale de la décennie? Que signifie jouer un rôle, lorsque la frontière rituelle entre la scène et la rue n'est connue que de soi-même? Peut-on jouer à être deux personnes littéralement contradictoires, durant plusieurs années? Et à quel prix?"

Dans "Une bonne histoire", on apprend que ce prix a été élevé. Très élevé. Tant pour les comédiennes-espionnes que pour les personnes figurant dans leur rapport. Citons à nouveau Adina Secretan: "'Une bonne histoire' ramène cette affaire dans le lieu qui aurait peut-être dû, dès le début, rester le sien: le théâtre". Ne manquez pas ce spectacle, vous en sortirez dessillés et avertis, avec une éventuelle petite rougeur sur le bras: là où vous vous êtes pincé pour être sûr que vous ne rêviez pas.

Thierry Sartoretti/ld

"Une bonne histoire", Festival de la Cité, Lausanne, les 6 et 7 juille; puis au Festival de la Bâtie, Genève, du 2 au 4 septembre 2023.

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