Une table, deux chaises, une bouilloire à thé et un sol recouvert de copeaux de bois comme s’il avait neigé. Voici le cadre. C’est sobre. L’essentiel est ailleurs. Il ne se voit pas, il se ressent: l’amour et le temps qui passe.
Sur le plateau, un couple de théâtre: la comédienne et danseuse Alma Palacios et le comédien David Geselson. Vous les avez peut-être vus dans "Bovary", une autre mise en scène de Tiago Rodrigues. La complicité de ces deux-là donne tout son sel au "Chœur des amants". Ces deux-là s’aiment et s’aimeront jusqu’au dernier souffle.
Un long voyage
En dépit des circonstances, comme cet accident respiratoire qui les envoie à l’hôpital, elle sur le billard et lui rongeant son frein en salle d’attente. Le mot chœur est à prendre dans tous les sens. Celui qui bat entre ces deux-là, celui qui chante des odes à l’amour et à l’existence. Avec un mantra qui va revenir plus d’une fois dans le spectacle: "On a le temps".
Tiago Rodrigues, l’actuel directeur du Festival d’Avignon, avait entamé l’écriture de cette pièce en 2006. Ce fut l’un de ses premiers spectacles en portugais en 2014. Le voici réécrit en français avec un chapitre de plus. Plutôt que chapitre, Tiago Rodrigues préfère parler de chant, comme les chants de l’Odyssée d’Ulysse.
Cette histoire avance dans le temps et le rythme du long cours. Le guerrier grec a besoin de vingt ans pour retrouver son aimée. Ces deux-là racontent une vie entière et même ce qui leur survivra.
Traversé de souvenirs
"Chœur des amants" parle du couple lorsqu’il arrive à ses ultimes jours, ceux de la sérénité quand elle et lui se disent mutuellement au revoir et prennent congé de leurs petits-enfants. De corps, les voici souvenirs. "Chœur des amants" débute par une secousse, lorsque l’on peine à entonner le récit de sa vie commune d’une seule et même voix. Sur scène, le verbe tient parfois de l’équilibrisme.
La pièce est en effet une partition vocale qui se déclame à deux, presque à l’unisson, et réclame des pas de côté pour rompre les risques de monotonie et pour coller au mieux à la réalité d’un couple: on a beau être d’accord, on connaît aussi des désaccords. Et l’accident qui les heurte est aussi l’occasion de revenir sur le passé. Sur ce qui a compté, marqué, avec des souvenirs hétéroclites: du premier mensonge aux parents à la découverte du corps de l’autre, en passant par ce film "Scarface" qu’ils n’ont jamais réussi à voir jusqu’au bout. "Chœur des amants" est un conte, une histoire immense dont on ressort nourri et heureux, au bout d’une petite heure.
Thierry Sartoretti/sc
"Choeur des amants" de Tiago Rodrigues, à la Comédie de Genève jusqu'au 15 octobre 2023.