Grégoire Furrer: "Avec internet, les humoristes n'ont plus besoin de monter à Paris"
Grégoire Furrer a plusieurs cordes à son arc. Créateur et producteur, il est aussi entrepreneur, dénicheur de jeunes talents et globetrotteur. Mais ce natif de Genève ayant grandi à Montreux préfère plutôt se définir comme "entrepreneur du rire".
Figure incontournable de la production et de la création humoristique internationale, il est le président du groupe GFP (Grégoire Furrer Productions), à l'origine de plusieurs festivals d'humour à travers le monde francophone. Que ce soit en Europe, en Afrique ou au Canada.
Mais il est surtout connu pour avoir créé, il y a plus de 30 ans, sur les bords du Léman, dans la ville qui l'a vu grandir, le Montreux Comedy Festival dont la 34e édition bat actuellement son plein. Une édition qui a exceptionnellement lieu à Lausanne cette année pour cause de travaux au Centre de congrès 2m2c à Montreux (lire encadré).
Invité dans l'émission Helvetica de la RTS, le fringant quinquagénaire raconte comment il est parvenu au fil des années à en faire un événement international de référence en matière d'humour.
L'humour, un art majeur
Pour commencer, Grégoire Furrer a toujours cru que le rire serait un art majeur, surtout par son côté rassembleur et universel. "On rit partout. Bien sûr, on rit différemment en Suisse, en France, à Lausanne ou à Genève. Mais ce qui est intéressant dans l'humour, c'est le dénominateur commun, autrement dit ce qui fait rire tout le monde."
Sans compter que l'humour est un art essentiel, d'autant plus dans le monde actuel. Avec toutes les crises que nous traversons - des épidémies aux guerres en passant par le climat-, on a toujours plus besoin de rire, insiste-t-il.
"Quand les temps sont durs, l'humour nous aide à traverser les difficultés, ça nous aide à voir la réalité avec un peu plus de subtilité et de décalage." Ses fréquents voyages en Afrique le lui rappellent d'ailleurs constamment: "C'est un continent qui a beaucoup souffert et qui souffre encore. Pourtant, l'Afrique compte énormément de talents d'humour."
Parcours atypique
L'entrepreneur a un parcours atypique. Il commence la HEC à Lausanne où il étudie deux ans, mais ne termine pas son cursus. "J'ai été happé par la vie professionnelle", dit-il. En 1990, il crée le Montreux Comedy Club qui n'est à ses débuts encore qu'un tout petit festival d'humour, plutôt confidentiel. Mais qui se fera rapidement une place, devenant un véritable tremplin pour des artistes tels qu'Anne Roumanoff, Blanche Gardin, Elodie Poux ou plus récemment Paul Mirabel.
A Paris, je me suis heurté au monde de la production qui est violent et qu’on ne comprend pas toujours en tant que Suisse
Avant d'en arriver là, il devra d'abord se faire une place. Et cela ne sera pas toujours évident. Il faut dire que la Suisse est toute petite, surtout pour Grégoire Furrer qui, même s'il reste très attaché à ses racines, a une vision internationale et mondiale.
En 1997, il décide donc de monter à Paris. "Là-bas, je me suis heurté au monde de la production qui est violent et qu'on ne comprend pas toujours en tant que Suisse. Plutôt que de subir les productions, j'ai voulu devenir producteur." Dans la capitale française, il trace tranquillement sa route, se fait connaître et noue des contacts.
En 2011, alors jeune quadragénaire, il a l'impression d'avoir fait le tour des productions d'artistes. "Quand vous êtes producteurs d'artistes, vous travaillez pour les autres, vous travaillez pour des talents, pas pour vous-même. Je voulais travailler pour moi. C'est tout simple", raconte-t-il. C'est alors qu'il se concentre sur ce qu'il aime: les festivals d'humour.
Internet mis à profit
Visionnaire et pionnier, Grégoire Furrer est l'un des premiers à proposer aux artistes et aux chaînes de télévision de capter les galas d'un festival, en l'occurrence le Montreux Comedy, et de diffuser ainsi l'humour auprès d'un public international. Il a ensuite profité de l'essor d'internet et des réseaux sociaux, notamment ceux permettant le visionnage et le partage de vidéos tels que YouTube ou DailyMotion, pour développer encore davantage son offre.
Les médias sociaux doivent être nourris tous les jours, pas seulement une fois par an au moment du Montreux Comedy
"J'ai toujours voulu faire d'une contrainte une force. Et ma contrainte en humour était le nombre de spectateurs. Le Montreux Comedy était un petit festival, avec 20'000 spectateurs environ", explique-t-il. Des barrières que le digital a permis de faire sauter: "Quand YouTube et Dailymotion sont arrivés, j'ai vu ce nouvel espace de liberté comme une chance inouïe pour se développer", capter un nouveau public qui se déplacera ensuite pour voir des spectacles. Sans compter qu'avec internet, les humoristes francophones n'ont plus besoin de monter à Paris, se réjouit-il.
Mais ce nouveau canal doit être nourri comme un animal. "Les médias sociaux doivent être nourris tous les jours, pas seulement une fois par an au moment du Montreux Comedy", explique-t-il au micro d'Helvetica. Toujours dans l'action et dans l'innovation, il crée avec son équipe énormément de contenus.
Une marque de référence
Et il a fallu un petit moment avant que ça prenne. "Les cinq ou six premières années, on avait des scores ridicules sur les réseaux sociaux." Mais il persévère, et ça fonctionne. Aujourd'hui Montreux Comedy est devenue la première plateforme francophone d'humour au monde, avec près de 6 millions d'abonnés, 1,5 million de vues par jour, 500 millions de vues par an. "Maintenant dans la Francophonie, Montreux Comedy est une marque de référence", se félicite-t-il.
Faire une vidéo à Montreux pour un artiste, c’est la garantie de remplir sa salle. Et c’est ce que les artistes recherchent.
Bien entendu, le public reste essentiel. "Rien ne remplace la relation entre le public dans une salle et un artiste." Mais une vidéo du Montreux Comedy peut permettre à des artistes de lancer leur carrière, à l'image de l'humoriste français Paul Mirabel. "Il est le meilleur exemple car il a fait le Montreux Comedy quand il était inconnu et sa vidéo a fait 26 millions de vues." Du jour au lendemain, il est devenu une star, remplissant des Zenith. "Faire une vidéo à Montreux pour un artiste, c'est la garantie de remplir sa salle. Et c'est ce que les artistes recherchent."
Propos recueillis par Philippe Revaz
Adaptation pour le web: Fabien Grenon
"Le Montreux Comedy Festival reviendra à Montreux, c'est sûr"
Pour cause de travaux au Centre de congrès 2m2c, le Montreux Comedy Club a dû s'exiler à Beaulieu à Lausanne, où il bat actuellement son plein. Et ce déménagement forcé aura lieu pendant deux ans au minimum, comme l'indique Grégoire Furrer dans l'émission Helvetica.
Mais selon le directeur du festival montreusien, pas de crainte à avoir: "Le Montreux Comedy Festival reviendra bien à Montreux, c'est sûr". Avant d'ajouter: "D’ailleurs à Lausanne, on salue le public de Montreux et pas de Lausanne."
En attendant, le festival, qui a lieu du 8 au 18 novembre, compte s'amuser aussi à Lausanne. "Il y a des lieux sympas à Lausanne. C'est une ville très stimulante", se réjouit encore Grégoire Furrer. "Mais c’est, et ça restera, le Montreux Comedy Festival", et non le Lausanne Comedy Festival.
Montreux Comedy Festival, du 8 au 18 novembre 2023, Beaulieu, Lausanne