Ça ne manque pas de pointe d’arbalète, cet ouvrage-là. L’opéra le plus helvétique, avec son héros barbu, ses fiers Confédérés, ses rudes vallées et son méchant venu de l’Est a été composé par un Italien avec l’aide de librettistes français, tous inspirés par un dramaturge prussien. Faut-il pour autant tourner le dos à Rossini, auteur de ce tube de l’opéra?
Surtout pas. Juste rappeler le contexte. En 1829, la Suisse, si romantique, fait rêver l’Europe. De plus cette histoire de révolte contre un occupant étranger colle bien à cette époque d’émergence des Etats-nations. L’opéra "Guillaume Tell" est donc autant un mythe qu’un fantasme, avec ses méchants très méchants terrassés par des gentils sans peur et sans reproche.
Décor très sobre et stylisé
Monter "Guillaume Tell" exige d’abord un sécateur. Avec ses ballets et autres évocations champêtres, la version originale, créée naguère en français à Paris, s’étale sur près de six heures, entractes compris. Au Théâtre Equilibre de Fribourg, le héros à la pomme règle le sort de Gessler en trois heures pause comprise, le tout dans un unique décor très sobre et stylisé, évoquant à la fois des falaises, un château ou une forêt. Un néon en fond de scène suggère les cimes ou les éclairs s’abattant sur le Lac des Quatre Cantons.
"Guillaume Tell", malgré son titre, n’est pas que l’histoire d’un super-héros en sandales Birkenstock. C’est aussi, et peut-être avant tout, le duo amoureux contrarié entre Mathilde la noble autrichienne et Arnold, le preux Confédéré. Un zeste de Romeo et Juliette avec le Rütli pour Vérone et un glacier pour balcon.
Une création internationale
Puisque "Guillaume Tell" est dès sa naissance une création internationale, autant continuer sur la lancée. La production du Nouvel Opéra de Fribourg (le NOF) est ainsi helvetico-irlandaise avec le chef Fergus Sheil du Irish National Opera à la baguette et une mise en scène signée par le Bernois Julien Chavaz. Tell est bien campé par le baryton d’origine martiniquaise Edwin Fardini, les envolées lyriques d’Arnold de Mechtal sont soutenues par le ténor coréen Jihoon Son, auquel répond sa belle Mathilde incarnée par la soprano irlandaise Rachel Croash.
Julien Chavaz entendait éviter les clichés patriotiques et inscrire cette histoire dans le domaine des contes et des fables. Trois danseuses déguisées en cerf apportent une note de fantastique. Des méchants tout en rouge rappellent les soldats de la reine de cœur dans "Alice au pays des merveilles". De beiges vêtus, les Confédérés évoquent les Hobbits de Tolkien. Dans la même veine, Tell troque son arbalète pour un arc géant. Un possible clin d’œil à Ulysse, cet autre héros emblématique, revenu dans sa patrie pour y faire le ménage de sanglante manière.
Un "Guillaume Tell" bien sage
On aurait souhaité plus de folie et de magie car au final ce "Guillaume Tell" reste somme toute bien sage, voire un brin austère. Reste l’essentiel et ce dernier est parfaitement rendu: l’ouverture célébrissime par l’Orchestre de chambre fribourgeois, les parties de chœur, puissantes à vous faire tomber les chaussettes, dirigées par Pascal Mayer et les airs parfaitement maîtrisés des solistes. Bref, quand la musique est bonne, bonne, bonne, bonne, "Guillaume Tell" touche quand même sa cible.
Thierry Sartoretti/olhor
"Guillaume Tell", opéra en quatre actes, Théâtre Equilibre, Fribourg, jusqu’au 7 janvier 2024.