A Vidy-Lausanne, un théâtre militant pour Taïwan par le collectif Rimini Protokoll
Taïwan. Un peu plus petite que la Suisse, passablement montagneuse aussi, mais trois fois plus peuplée. Economiquement, l'île se place au vingtième rang mondial des puissances économiques, juste devant notre pays, exportant les microprocesseurs de nos téléphones et ordinateurs, des vêtements, des objets en plastique et le bubble tea. Si nous parlons de ce pays, c'est qu'il fait l'objet d'une exposition et d'un spectacle à voir au Théâtre Vidy-Lausanne.
Jusqu'au 24 mars donc, Taïwan bénéficie d'un accès privilégié au Léman. Le théâtre lausannois accueille une exposition de photo contemporaine et surtout un spectacle, "Ceci n'est pas une ambassade (Made in Taiwan)", joué en anglais sous-titré et créé par un Suisse: Stefan Kaegi, de Rimini Protokoll, collectif théâtral alémanique connu pour ses créations scéniques documentaires.
Un titre à la Magritte
Drôle de titre à la Magritte. C'est que depuis 1971, ce pays n'est plus, officiellement, une nation de plein droit. Et n'a dès lors pas droit à une ambassade. Que ce soit en Suisse ou ailleurs. 1971, c'est l'année où la Chine continentale communiste entre à l'ONU sur initiative du président américain Richard Nixon, soucieux de renouer ses relations avec cette puissance jusqu'alors au ban des nations. Du coup, exit cette autre Chine, capitaliste et actuellement démocratique, installée sur l'île de Taïwan depuis 1949, après avoir perdu une guerre civile comme l'armée rouge de Mao Tse Toung.
Ce pays très connu a donc paradoxalement moins de reconnaissance internationale que le tout récent Kosovo. Et à l'ONU, il n'y a désormais qu'un siège chinois, celui de Pékin, quand bien même historiquement le gouvernement insulaire de Taipei a fait partie des membres fondateurs des Nations Unies au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Voilà pour l'Histoire.
Reconnaître l'existence de Taïwan
Passons maintenant au théâtre. "Ceci n'est pas une ambassade (Made in Taiwan)" raconte la géopolitique taiwanaise avec trois personnes issues de l'île. Elles sont présentes sur le plateau de Vidy-Lausanne avec des films, des maquettes, des objets personnels et des instruments de musique.
Au fil des explications, souvenirs et confessions, les trois protagonistes proposent de reconnaître symboliquement l'existence de Taïwan le temps de cette représentation théâtrale en inaugurant une ambassade sur les berges du Léman. Le procédé rappelle un autre projet symbolique et politiquement engagé accueilli récemment à Vidy-Lausanne et lié au peuple kurde, nation culturelle divisée en différents territoires étatiques. Là aussi, le théâtre avance là où le politique ne peut pas (encore) aller.
Dans "Ceci n'est pas une ambassade", les trois acteurs choisis par Stefan Kaegi ont parfois des avis diamétralement opposés sur leur pays. Manière d'exposer le débat démocratique très vif à Taïwan. Chiayo Kuo, Debby Szu-Ya Wang et David Chienkuo Wu brandissent parfois un panneau "I disagree" ("Je ne suis pas d'accord") ou "no comment". Pour le trio, s'impliquer publiquement n'est pas sans risque dans la mesure où l'avenir politique ou militaire de l'île est incertain.
Informatif et militant
Malicieux, très informatif, militant, réussi du point narratif et dramaturgique, le spectacle séduit et interpelle à la fois. Les comédiens ne sont en effet pas tous des artistes, Stefan Kaegi ayant, suite à ses recherches, engagé des "vrais" gens de la société civile venus avec leur récit de vie.
Debby Szu-Ya Wang est musicienne dans la vie et sur la grande scène. En revanche, David Chienkuo Wu est un ancien diplomate du gouvernement taiwanais et Chiayo Kuo une militante d'une ONG investie dans les réseaux sociaux en faveur de la reconnaissance de Taïwan.
Et du coup, cette création artistique coproduite par Vidy-Lausanne et le Théâtre de Taipei a parfois des accents de propagande diplomatique, quelle que soit la sympathie que l'on puisse éprouver pour cette démocratie au destin quotidiennement menacé par son voisin au régime totalitaire. Comme si le travail de Stefan Kaegi était, bon gré mal gré, devenu un outil de soft power pour ses interprètes.
Thierry Sartoretti/ld
"Ceci n'est pas une ambassade (Made in Taiwan)" de Stefan Kaegi et son collectif Rimini Protokoll, Théâtre Vidy-Lausanne, du 14 au 24 mars 2024.