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Avec "A l'affût", le théâtre de Juliette Vernerey ne perd pas le nord

Spectacle "A l'affût" de la compagnie L’Alakran. [La compagnie L’Alakran - Guillaume Perret]
A lʹaffût / Vertigo / 5 min. / le 14 mai 2024
Une comédie pour explorer notre rapport au vivant. Installée au Théâtre du Loup à Genève, du 21 au 26 mai, avec moufles, anoraks et jumelles, Juliette Vernerey piste l'ours blanc et se rit de nos contradictions humaines. Réjouissant. 

Surtout, ne pas bouger. Pas un mouvement de bras, pas un battement de cil, pas une parole, pas un souffle. Sauf que, évidemment, quelqu'un bouge en plein affût et c'est foutu, fichu, perdu, ratu. Il faudra tout recommencer, un autre jour. Et de toute manière, avec ses effluves de parfum, la troupe était repérable à des centaines de mètres à la ronde.

Tant pis pour l'ours blanc, on a plutôt fait chou blanc. Pas facile de pister les espèces sauvages du Grand Nord quand on est une bande de Pieds nickelés perdus dans ces espaces opalescents à la recherche de leur animal totémique.

Une comédie sur notre rapport au vivant

Inspirée par les lectures et visionnages des ouvrages de Vincent Munier, photographe animalier rendu célèbre par sa lente approche de la panthère des neiges, la metteuse en scène neuchâteloise Juliette Vernerey imagine une comédie sur notre rapport au vivant.

La voici "A l'affût" avec six excellentissimes interprètes, tous et toutes camarades d'études théâtrales à Bruxelles. Plus ou moins bien équipés en jumelles, moufles et bonnet, Jeanne Dailler, Pierre Gervais, Pénélope Guimas, Samuel Padolus, Patric Reves et Juliette Tracewski affrontent avec panache le blizzard de leurs contradictions humaines.

Bon jeu et sens aigu du burlesque

Il y a peu, les mêmes avaient réinterprété à leur manière loufoque la Quête du Graal. A défaut de trésor, la pièce avait su trouver un public fervent. Salles pleines et enthousiastes pour cette équipe alliant le bon jeu et un sens aigu du burlesque et du collectif. Les armures ont été rangées dans l'armoire aux accessoires au profit des anoraks et des bottes fourrées.

Rythmé par des échauffements en musique (dame, il fait froid dans le Grand Nord), "A l'affût" carbure au même enthousiasme que la "Quête" avec des scènes proprement hilarantes, comme cette maman "qui a décidé de devenir un bœuf musqué" et qui, dès lors, quitte son foyer pour partir au Groenland vivre sa nouvelle existence.

Réflexions et philosophie

A l'origine de ce spectacle, il n'y a pas que des blagues et de l'ironie. On y trouve aussi des écrits de philosophes. Ainsi cette réflexion de Baptiste Morizot, pisteur de loups, qui remet en cause la pensée des Lumières: "Imaginez cette fable: une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d'autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la 'nature'. A savoir: non pas des êtres mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d'un côté, dix millions de l'autre, et pourtant une seule famille, un seul monde. Cette fiction est notre héritage."

Juliette Vernerey fait aussi sienne cette boutade de Clément Rosset, un autre penseur de notre monde: "Rassurons-nous, tout va mal". Sa dernière création n'entend ni proposer des solutions de sauvetage ni moraliser nos comportements erratiques. En riant de notre espèce auto-élue, elle nous offre à la fois réflexion et divertissement. Et peut-être aussi ce petit message: et si on bougeait enfin?

Thierry Sartoretti/ld

"A l'affût" de Juliette Vernerey, produit par ParMobile – Compagnie L’Alakran, Théâtre du Loup, Genève, du 21 au 26 mai 2024.

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