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"Avignon, une école" ou comment raconter l'histoire de la Mecque du théâtre

La volée M de la Manufacture dans le spectacle "Avignon, une école". [Marc Domage]
Avignon, une école / Vertigo / 6 min. / le 30 mai 2024
A découvrir à Vidy-Lausanne jusqu'au 8 juin, puis en tournée, le spectacle "Avignon, une école", mis en scène par Fanny de Chaillé, raconte l'histoire du plus prestigieux des festivals de théâtre tout en présentant la dernière promotion des comédiennes et comédiens de la Manufacture.

Le tableau est affiché dans le foyer du théâtre de Vidy-Lausanne. C'est la bible de travail du spectacle "Avignon, une école", une saga dans les mémoires et le présent des arts vivants à l'affiche jusqu'au 8 juin avant de partir sur les routes de Suisse romande et du Vaucluse en France.

Des cases de couleurs, des dates, des événements marquants, des noms d'artistes et de direction, et des thèmes de débats culturels, politiques, esthétiques ou sociaux. Une année figure en rouge: 2003. Elle aura marqué. Depuis sa création en 1947, le Festival d'Avignon a toujours existé, malgré Mai 68, les polémiques, la météo ou les trous dans la caisse, n'abdiquant qu'une fois, à l'été 2003, terrassé par cet obstacle: la grève de celles et ceux qui sont la cheville ouvrière du théâtre français, comédiennes et comédiens, techniscénistes et autres métiers des coulisses luttant pour leur statut d'intermittents du spectacle.

Récit de 77 ans de théâtre au bord du Rhône

Poussons maintenant la porte de la grande salle Charles Apothéloz. Rang G est assis Vincent Baudriller, actuel directeur du théâtre de Vidy-Lausanne et naguère co-directeur du Festival d'Avignon avec Hortense Archambault, seule femme sur un tableau d'honneur avignonnais qui va de Jean Vilar à Tiago Rodrigues, actuel détenteur des clés de la Mecque des arts de la scène.

Pour Vincent Baudriller, cette soirée a le goût d'une Madeleine de Proust. Ou peut-être d'une mise en abyme devant ce récit de 77 ans de théâtre au bord du Rhône. Tout en haut, à la régie, se trouve Fanny de Chaillé, metteuse en scène, chorégraphe et performeuse. On lui doit un précédent spectacle nommé "Une autre histoire du théâtre". Elle y ravivait la mémoire de cet art vivant qui a cette particularité d'apparaître pour mieux disparaître, sans laisser beaucoup de traces si ce n'est dans la mémoire du public qui était là. C'est elle, en ce soir de première, qui pilote "Avignon, une école", spectacle de sortie de la dernière promotion bachelor des jeunes comédiennes et comédiens de la Manufacture, la Haute Ecole des arts de la scène de Suisse romande.

Une image du spectacle "Avignon, une école". [Marc Domage]
Une image du spectacle "Avignon, une école". [Marc Domage]

Quinze paroles et autant de corps

Portons maintenant notre regard sur scène. Quinze nouvelles têtes sur la grande scène de Vidy-Lausanne. Quinze paroles et autant de corps. Dans le travail de Fanny de Chaillé, le texte n'existe pas sans mouvement. Et puis raconter le Festival d'Avignon, c'est aussi conter la danse, la performance et les arts pluridisciplinaires. "Avignon, une école" s'ouvre sur l'année 1976 et l'apparition d'un futur classique, "Einstein on the Beach" de Philip Glass et Bob Wilson. Une comédienne au piano, une à la direction du chœur, deux autres assises égrenant le timing de la partition. Le public est happé. Elle a beau nous être jouée en petit comité, cette œuvre fascine toujours.

Créer un spectacle d'école de théâtre, c'est offrir à chacune et chacun son moment, manière de capter la lumière avant de se lancer dans l'inconnu. Un équilibre pleinement réussi après quelques affinages à effectuer dans la force du jeu. Raconter l'histoire d'un festival comme Avignon, c'est rejouer des rôles où les personnages sont à la fois prince et comédien, reine et tragédienne. Ainsi, Gérard Philipe en Prince de Hombourg ou Maria Casarès en Lady Macbeth.

"Avignon, une école" pourrait ainsi remonter le fil du temps à coup d'incarnation, de reconstitution ou de pastiche, de "Paradise Now" du Living Theatre (choc et polémique de 1968) à "Carte noire nommée désir" de Rébecca Chaillon (choc et polémique de l’édition 2023).

La volée M de la Manufacture dans le spectacle "Avignon, une école" . [Marc Domage]
La volée M de la Manufacture dans le spectacle "Avignon, une école" . [Marc Domage]

Miroir, livre d'histoire et rampe de lancement

A ces tableaux et instantanés avignonnais, le spectacle ajoute une sorte de droit d'inventaire de ses interprètes. Nous sommes en 2024, la volée M de la Manufacture a ses propres rêves, angoisses et débats d'aujourd'hui: rejouer ou non à l'infini des classiques parfois misogynes ou racistes, incarner ou non des personnages racisés quand on est soi-même blanc comme une aspirine, oser s'approprier un ballet de Béjart quand on n'a pas le corps formaté pour, etc.

En juillet, les quinze de la volée M seront au cœur du Monstre, sur la scène du Cloître des Célestins, en plein Festival In d'Avignon, belle vitrine pour une école suisse d'excellence qui fête ses vingt ans d'existence. "Avignon, une école" sera à la fois miroir, livre d'histoire, guide subjectif et rampe de lancement pour ces quinze à qui l'on dit un grand merdre pour leur carrière d'artistes.

Voici ces comédiennes et comédiens de vos futurs spectacles: Eve Aouizerate, Martin Bruneau, Luna Desmeules, Mehdi Djouad, Hugo Hamel, Maëlle Héritier, Araksan Laisney, Liona Lutz, Mathilde Lyon, Elisa Oliveira, Adrien Pierre, Dylan Poletti, Pierre Ripoll, Léo Zagagnoni et Kenza Zourdani.

Thierry Sartoretti/olhor

"Avignon, une école", Théâtre Vidy-Lausanne, jusqu’au 8 juin 2024. Puis à l’Alambic, Martigny, le 13 juin; ADC, Genève, les 21 et 22 juin et Festival d’Avignon (F), du 10 au 12 juillet 2024.

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