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"Jeff Koons", le chéri richissime et kitsch de l'art contemporain raconté au théâtre

Une photo de la pièce "Jeff Koons", mise en scène par Mathieu Bertholet. [Théâtre Le Poche - Chloé Cohen]
Une photo de la pièce "Jeff Koons", mise en scène par Mathieu Bertholet. - [Théâtre Le Poche - Chloé Cohen]
Signé Rainald Goetz pour le texte et Mathieu Bertholet pour la mise en scène, "Jeff Koons" électrise le Théâtre de Poche à Genève jusqu'au 13 octobre. Un spectacle aussi étourdissant que les œuvres du plasticien américain, ex-mari de la Cicciolina.

"Finalement, tout ça ici ne serait pas facilement possible sans argent et sans les riches qui veulent bien dépenser leur argent pour l'art". Voici des propos de vernissage entendus dans "Jeff Koons". Renaissance ou époque actuelle, ce serait donc toujours et encore le même topo. Autrefois, les artistes courtisaient les cours et autres duchés. Désormais, ce seraient les milliardaires de la finance qu'il faut séduire avec des œuvres qui finiront dans un hall d'hôtel à Las Vegas, une fondation à Paris ou un coffre dans un port franc anonyme.

L'art des dollars et des records

Au Théâtre Le Poche à Genève, la pièce "Jeff Koons" parle d'art contemporain. Ou plutôt d'un pan bien particulier de l'art contemporain: le plus riche, le plus clinquant, le plus vaniteux. Ici, pas d'arte povera, mais de l'arte dollarmaxima. Signée du dramaturge allemand Rainald Goetz, "Jeff Koons" est une sorte de portrait éclaté du plus médiatique des créateurs apparus à la fin du siècle dernier.

Il est l'homme du record, Jeff Koons. En 2019, son "Rabbit", sculpture d'un lapin-ballon en acier coloré, s'est vendu aux enchères chez Sotheby's pour 91 millions de dollars. La somme la plus élevée jamais payée pour l'œuvre d'un artiste vivant.

"Qu'est-ce que s'achète un collectionneur, en fait?", se demande ce spectacle mis en scène par Mathieu Bertholet, directeur du Poche, dont c'est la dernière saison avant un déménagement à Zurich où il reprendra la programmation du Theater am Neumarkt.

>> Ecouter la chronique consacrée au spectacle "Jeff Koons" dans Vertigo :

Le directeur artistique et metteur en scène suisse Mathieu Bertholet. [©CHLOE COHEN - Mathieu Bertholet]©CHLOE COHEN - Mathieu Bertholet
Jeff Koons / Vertigo / 5 min. / mardi à 17:08

Une mise en scène de défilé de mode

"Jeff Koons", c'est à la fois un vernissage d'ultra-riches à Art Basel, la fashion week parisienne et une pride dans les années 2000. Au milieu du théâtre Le Poche, vidé de sa scène et de ses gradins, voici une piste d'or. Le public est disposé de part et d'autre comme pour un défilé de mode. Une heure et quarante minutes durant, la troupe du Poche passe, repasse, se surpasse dans un va-et-vient de costumes délirants, d'objets kitschissimes, de saynètes sensuelles, le tout en lien avec l’univers du plasticien américain.

"Jeff Koons" est un tourbillon de couleurs, de personnages plus ou moins fantasmés, de tenues et de chorégraphies qui tanguent avec Vivaldi, la pop de Madonna et la house music. Perchés sur d'improbables chaussures en plastique, Bénédicte Amsler Denogent, Raphaël Archinard, Valeria Bertolotto, Zacharie Jourdain et Guillaume Miramond, tour à tour pop stars, groupies, artistes ou fashionistas accomplissent là un véritable tour de force marathonien du cat walk aux coulisses.

Une photo de la pièce "Jeff Koons", mise en scène par Mathieu Bertholet. [Théâtre Le Poche - Chloe Cohen]
Une photo de la pièce "Jeff Koons", mise en scène par Mathieu Bertholet. [Théâtre Le Poche - Chloe Cohen]

Etourdissant et drôle

"Jeff Koons" se moquerait-il de Jeff Koons? Pas vraiment. Dans le chaos des déclarations creuses et des exclamations admiratives, on perçoit une certaine fascination du dramaturge Rainald Goetz pour ce monde du bling-bling XXL. Après tout, avant d'être bardé de récompenses prestigieuses outre-Rhin, Rainald Goetz n'a-t-il pas fait lui-même le buzz en s'ouvrant le front avec un scalpel lors d'une cérémonie de prix culturel? A chacun ses armes. Au jeune punk peroxydé, la violence, au yuppie de la Côte Est, un art consommé de la mise en scène pop sur les traces médiatiques d'Andy Warhol.

On est parfois largué dans ce flot de paroles et de peluches qui multiplie les points de vue et les entrées sur ce monde où art et business vont de pair. C'est étourdissant, drôle, jouissif par moment, passant de déclaration sur l'art à des scènes de cul, assez proche de la planète Koons dont le côté brillant, populaire, enfantin et pornographique à la fois, paralyse souvent toute tentative de réflexion ou de mise à distance.

Vous préférez la porcelaine de Michael Jackson avec son chimpanzé Bubbles, ce caniche-ballon en acier rose ou le buste en marbre de la Cicciolina contemplant son amoureux dans les années 1990?

Thierry Sartoretti/sf

"Jeff Koons", mise en scène Mathieu Bertholet, texte Rainald Goetz, Théâtre Le Poche, Genève, du 30 septembre au 13 octobre 2024.

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